Passer au contenu du forum

forum abclf

Le forum d'ABC de la langue française

Mise à jour du forum (janvier 2019)

Remise en l'état – que j'espère durable – du forum, suite aux modifications faites par l'hébergeur.

Répondre

Répondre

Rédigez et envoyez votre nouvelle réponse

Vous pouvez utiliser : BBCode Images Binettes

Tous le champs doivent être remplis avant d’envoyer ce formulaire, ou alors vous avez utilisé la fonction copier/coller qui n'est pas supportée par l'éditer de texte.

Information obligatoire pour les invités


Information obligatoire

Revue du sujet (plus récents en tête)

177

Une petite initiation aux méthodes de recherche en métrique :

Voici le vers de Lucrèce qui contient opportunément le mot angulus, qu'on ne s'attendrait  pas à rencontrer en poésie (De rerum natura, IV, 455 éd. Les Belles Lettres) :

āngŭlŭs/ōptū/sūs quĭă/lōngē/cērnĭtŭr/ōmnĭs

C’est un hexamètre dactylique ; comme son nom l’indique, il est formé de six dactyles (un dactyle = une longue et deux brèves). Un spondée (= deux longues) peut souvent se substituer au dactyle puisque la mesure de ces deux pieds est identique. Quant à la longueur de la voyelle finale, elle est indifférente (mais peu importe ici).

Dans la prosodie latine et grecque, toute syllabe fermée est longue, ce qui revient à dire qu’une voyelle suivie de deux consonnes compte pour une longue même si elle était brève « par nature ».

C’est dont le cas du a de angelus. Si je commence par le début du vers, je pose donc ān. La seconde voyelle peut théoriquement être soit brève, soit longue. Mettons qu’elle soit longue : j’aurai alors āngū/ (premier spondée). Mais ensuite, ça se gâte puisque la terminaison du nominatif singulier de la 2ème déclinaison est brève, et que le u final n’est suivi que d’une seule consonne : j’obtiens en effet āngū/lŭs, ce qui est impossible, puisque le début de ce second pied ne saurait annoncer ni un dactyle, ni un spondée. Certes, un tribraque (trois brèves) peut être exceptionnellement employé, mais on voit tout de suite que le ō de ōptusus ne peut être que long, ce qui exclut notre tribraque. Le ŭ central de angulus est donc forcément bref, et ce vers commence très classiquement par un dactyle.

Note :
Les dictionnaires indiquent les quantités par nature, mais comme ces ouvrages sont destinés aux traducteurs et non aux philologues, ils ne mettent aucun signe sur les voyelles suivies de deux consonnes puisqu'elles sont nécessairement considérées comme longues en prosodie, alors que que ce dernier aurait parfois bien besoin de savoir si une telle voyelle est longue ou brève "par nature". Le problème est moindre en grec du fait de la distinction ε/η, ο/ω (par exemple, le ε et le ο de ἄγγελος sont évidemment brefs).

176

Lévine a écrit:

Bien sûr ; non seulement l'accent était connu, mais encore pratiqué : l'accent est une réalité qui a joué un rôle déterminant sur toute la philologie romane. Mais quand bien même ce mot ne serait-il connu qu'à l'écrit, son u central bref, prouvé par son emploi dans un vers de Lucrèce, ferait conclure ipso facto à son accentuation sur la première syllabe. Je développerai si cela vous intéresse.

Pas question pour moi de douter de la réalité de cet accent tonique ! Ni du rôle de la brève centrale favorable à la présence de cet accent sur la syllabe précédente, la première !
Mais… pardonnez l'éventuelle naïveté de la question : en quoi le vers de Lucrèce prouve-t-il la brièveté du u central d'angŭlu(m) ?

175

Lévine a écrit:

Toutes les langues d'Europe qui ne sont pas d'origine latine ont calqué le nom de l'ange soit sur le latin (sauf le grec moderne, bien sûr), soit sur une autre langue. Ainsi, le mot russe ангел dérive-t-il de l'allemand, ainsi que le mot finnois enkeli.

Breton ael < *agelus < latin angelus. Mais gallois angel.
Irlandais aingeal < vIrl aingel < latin angelus.

174

Merci de votre lecture attentive. Je pense que je procéderai désormais par mots choisis (dont on a discuté ou non) : c'est plus concret et moins rébarbatif que des "leçons".

Chover a écrit:

• Après relecture, je me pose une question : l'accent tonique d'angŭlu(m) « sur la syllabe antépénultième » était-il connu avant qu'on restitue son évolution vers « angle » ou – cela me paraîtrait plus vraisemblable – est-ce notre « angle », souvent monosyllabique oralement, qui a permis rétroactivement d'affirmer que l'étymon était accentué sur son a ?

Bien sûr ; non seulement l'accent était connu, mais encore pratiqué : l'accent est une réalité qui a joué un rôle déterminant sur toute la philologie romane. Mais quand bien même ce mot ne serait-il connu qu'à l'écrit, son u central bref, prouvé par son emploi dans un vers de Lucrèce, ferait conclure ipso facto à son accentuation sur la première syllabe. Je développerai si cela vous intéresse.

Chover a écrit:

• Vos explications quant à l'évolution de angĕlu(m) vers « ange » confirment la spécificité de ce dernier : j'ai l'impression que dans toutes les autres langues où le mot de même sens remonte au grec angelos ou à son dérivé latin angelus*, le l s'est maintenu. Impression ! En tout cas, Engel en allemand.

Toutes les langues d'Europe qui ne sont pas d'origine latine ont calqué le nom de l'ange soit sur le latin (sauf le grec moderne, bien sûr), soit sur une autre langue. Ainsi, le mot russe ангел dérive-t-il de l'allemand, ainsi que le mot finnois enkeli.

Chover a écrit:

* Je ne suis pas certain que l'on puisse affirmer que le mot latin dérive du grec. Toutefois, le Gaffiot mentionne Ἄγγελος à son entrée Angelus.

Il ne peut en être autrement. Dans le cas d'angulum, on peut trouver aisément une racine PIE commune aux langues germaniques, slaves et au grec ; en ce cas, la discussion serait possible : mots apparentés par l'emprunt ou cognats ? Mais le nom grec ἄγγελος "messager" (tardivement "ange") et le verbe très courant ἀγγέλω "annoncer" n'ont pas d'étymologie certaine. Comment expliquer qu'un sosie comme angelus puisse se retrouver miraculeusement en latin ?

173

• Après relecture, je me pose une question : l'accent tonique d'angŭlu(m) « sur la syllabe antépénultième » était-il connu avant qu'on restitue son évolution vers « angle » ou – cela me paraîtrait plus vraisemblable – est-ce notre « angle », souvent monosyllabique oralement, qui a permis rétroactivement d'affirmer que l'étymon était accentué sur son a ?
• Vos explications quant à l'évolution de angĕlu(m) vers « ange » confirment la spécificité de ce dernier : j'ai l'impression que dans toutes les autres langues où le mot de même sens remonte au grec angelos ou à son dérivé latin angelus*, le l s'est maintenu. Impression ! En tout cas, Engel en allemand.

* Je ne suis pas certain que l'on puisse affirmer que le mot latin dérive du grec. Toutefois, le Gaffiot mentionne Ἄγγελος à son entrée Angelus.

172

Non, c'est une note devenue inutile.

Merci de votre lecture !

171

Merci. Très intéressant. Mais je ferai une deuxième lecture.
« (3) » annonce probablement la pénultième phrase L’équivalent italien (florentin) de ces cinq mots est angelo, vergine, imagine, vescovo, principe…

170

ANGE (chose promise, chose due).

Face à l’italien, qui dérive angolo de angŭlu(m) et angelo de angĕlu(m), le français, avec angle et ange ne présente pas une aussi belle régularité.

Commençons par le mot angle < angŭlu(m). L’étymon latin étant accentué sur la syllabe antépénultième, la voyelle pénultième atone [ŭ] a régulièrement subi la syncope. Ce phénomène, déjà présent en latin, s’est étendu en français a presque tous les mots de même structure, alors qu’il n’a touché les autres langues romanes que si la syncope remontait à l’époque latine, ce qui n’est pas le cas d’angŭlu(m). En français, on a donc eu l’évolution suivante :

angŭlu(m) > *ang(o)lo > angle, alors que l’italien, avec angolo, présente une forme non syncopée, du reste conforme à son caractère « demi-savant ».

Suivant ce principe, angĕlu(m) aurait dû aussi aboutir à *angle [angl(ə)]. Mais comme ce mot relevait du domaine religieux, une réaction savante a fait maintenir jusqu’au VIème siècle la voyelle pénultième atone. Entre temps, [g] était passé à [ʤ]. On a donc eu :

angĕlu(m) >  *[anʤelo] > *[anʤele] (VIème siècle).   

Or une telle formation contrariait la tendance du français à mal supporter la succession de deux syllabes atones, et surtout l’accentuation sur la syllabe antépénultième, dite paroxytonique ; c’est du reste ce qui avait provoqué la généralisation de la syncope dans les autres mots. Mais au moment ou les voyelles finales commençaient à s’affaiblir (VIIème siècle), la syncope a tout de même fini pas avoir lieu. On a eu alors :

*[anʤelə] > [anʤ(e)lə] > [anʤlə] (angle) largement attesté, bien que beaucoup plus tardivement.

Toutefois, le groupe [ʤ] n’entrait pas dans les habitudes articulatoires de la langue (ce qui avait sans doute concouru au retard de la syncope). Trois siècles plus tôt, la langue aurait sans doute trouvé une solution pour l’éviter (assimilation ou transformation du groupe [ʤl]) ; on trouve bien la forme mot angre [anʤrə] (angre), comme l’atteste l’écrit, mais ce n’était guère plus satisfaisant, et vers l’époque carolingienne, c’est finalement a consonne [l] qui a chuté, la voyelle atone finale se maintenant comme voyelle d’appui du [ʤ]  menacé de disparaître à son tour par sa position… L’évolution a donc donné :

[anʤlə] > [anʤ(lə)] (IX-Xème) >[anʤə] (VIIIème ?) > [ɑ̃nʒ(ə)] (XIIIème) > [ɑ̃ʒ] (à partir du XVIème).


Quant aux graphies angele, angle, angre, que l’on trouve dans nos premiers textes, elles sont conservatrices et ne correspondent plus à la prononciation « moderne », comme l’atteste le quintil XVIII de la Vie d’Alexis, qui renferme – comme pour illustrer une leçon de phonétique – trois  mots relevant du même traitement :

Puis s’en alat en Alsis la citet
Por une imag(e)ne dont il odit parler,
Qued ang(e)le firent par comandement Deu

El nom la virg(e)ne qui portat salvetet, ( = au nom de la Vierge qui porta (en elle) le salut)
Sainte Marie, qui portat Damnedeu. (= le Seigneur Dieu)

On voit clairement que les voyelles que j’ai mises entre parenthèses ne comptent pas dans la mesure. La syncope était donc observée en dépit de la graphie et, du fait de l’élision fréquente de la finale féminine du premier hémistiche devant consonne (cf. aussi firent) (décasyllabe à césure dite épique), je ne pense pas que le [l] ou le [n] finals de ces mots fût bien clair à cette époque…

Quant à la graphie angre, l’auteur – ou le scribe – du Roman de Guillaume de Dole, en faisant rimer le mot avec change (v. 4538-9), révèle que celle-ci ne correspondait nullement à la prononciation du mot au début du XIIIème siècle. Ici comme ailleurs, une certaine tradition s’imposait toujours…

La liste des formations ainsi tronquées est assez limitée (une quinzaine). On peut les diviser en deux groupes :

a) celui des mots a syncope tardive, présents dans l’Alexis :
- vĭrgĭne(m) > [virʤənə] (virgene) > [virʤnə] (virgne) (1) > [virʒ(n)(ə)] > vierge (le -ie est « moderne »).
- ĭmagĭne(m) > [imagənə] [imagene] > [imag(ə)(n)(ə)] > image (2) ;

b) celui des mots qui ne semblent jamais avoir subi de syncope, sans doute du fait du caractère imprononçable du groupe de consonnes qui en aurait résulté ; pour ces derniers, c’est toute la dernière syllabe qui a disparu, dès le VIIème siècle (Zink, Joly). La voyelle pénultième atone a joué alors le rôle de voyelle d’appui.
- episcopu(m) > [evescovə] > [evescə(və)] > évêque.
- principe(m) > [printsevə] > [prinsə(və] > prince.

(1) Nombreux intermédiaires, dont vierche, voirgne
(2) Presque pas d’occurrences autres qu’imagene.

L’équivalent italien (florentin) de ces cinq mots est angelo, vergine, imagine, vescovo, principe…
Ce n’est pas pour rien qu’on parle d’érosion phonétique dans la formation du français !

169

En effet. Je ne vais pas poursuivre mes questions pour ne transformer le sujet en interrogatoire. Ces deux signes graphiques sont le souvenir des anciennes diphtongues qui se sont nasalisées à peu près aux mêmes époques que les voyelles simples, avant de se réduire à un son vocalique unique (la langue standard moderne ne comporte plus de diphtongues). J'avais laissé de côté ce chapitre, je vais à présent l'aborder, de façon basique car c'est une partie de la phonétique historique plutôt indigeste.

Merci de votre participation !

168

Quel est le point commun des mots en "ain", "ein", "oin", "uin

Deux voyelles qui précèdent la consonne nasale.