Texte des Serments de Strasbourg
D'après Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, III, 5. MGH Script. II. Hannover, Hahn, 1829. Quelques corrections et la traduction en français adaptés de Philippe Lauer (édition de 1926, Honoré Champion).
Ergo 16. Kalend. Marcii Lodhuwicus et Karolus in civitate quae olim Argentaria vocabatur, nunc autem Strazburg vulgo dicitur, convenerunt ; et sacramenta quae subter notata sunt Lodhuwicus romana, Karolus vero teudisca lingua iuraverunt. Ac sic ante sacramentum circumfusam plebem alter teudisca alter romana alloquuti sunt. Lodhuwicus autem, qui maior natu, prior exorsus, sic coepit : | Donc le 16ème jour avant le mois de mars (= 14 février) Louis et Charles se rencontraient dans la ville qui autrefois était appelée Argentaria mais qui maintenant est appelée Strazburg (Strasbourg) dans le peuple. Et ils prêtèrent les serments qui sont notés ci-dessous, Louis en langue romane (= français) et Charles en tudesque (= allemand). Mais avant le serment, ils s’adressèrent à la foule qui les entourait, l’un en tudesque, l’autre en roman. Et Louis, parce qu’il était l’ainé, commença en premier ainsi : |
(s’ensuit la brève allocution au peuple, mais qui est rapportée en latin par Nithard. On explique à la foule les raisons du serment, à savoir les poursuites et mechancetés de la part de leur frère Lothaire.) | |
Cumque Karolus haec eadem verba romana lingua perorasset, Lodhuvicus, quoniam maior natu erat, prior haec deinde se servaturum testatus est : | Et lorsque Charles avait terminé ces mêmes mots en langue romane, Louis, puisqu’il était l’ainé, jura le premier de les observer : |
Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, dist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo, et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet ; et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit. | "Pour l’amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d’aujourd’hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l’équité, à condition qu’il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles." |
Quod cum Lodhuvicus explesset, Karolus teudisca lingua sic hec eadem verba testatus est : | Quand Louis avait terminé cela, Charles jura ces mêmes mots en langue tudesque : |
In godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero gealtnissi, fon thesemo dage frammordes, so fram so mir got gewizci indi madh furgibit, so haldih tesan minan bruodher, soso man mit rehtu sinan bruher scal, in thiu thaz er mig sosoma duo ; indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, the minan willon imo ce scadhen werhen. | "Pour l’amour de Dieu et pour le salut du peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour dorénavant, autant que Dieu m’en donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère, comme on doit selon l’équité secourir son frère, à condition qu’il en fasse autant pour moi, et je n’entrerai avec Lothaire en aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui être dommageable." |
Sacramentum autem quod utrorumque populus quique propria lingua testatus est, romana lingua sic se habet : | Et le serment que chacun des deux suites jura dans sa propre langue est ainsi conçu en langue romane : |
Si Lodhuvigs sagrament, quae son fradre Karolu iurat, conservat, et Karlus meos sendra de suo part non lostanit*, si io returnar non lint pois, ne io ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla aiudha contra Lodhuwig nun li iu er. | "Si Louis observe le serment qu’il jure à son frère Charles et que Charles, mon seigneur, de sont côté, ne le tient pas, si je ne puis l’en détourner, ni moi ni aucun de ceux que j’en pourrai détourner, je ne lui serai d’aucune aide contre Louis." |
Teudisca autem lingua : | Et en langue tudesque : |
Oba Karl then eid, then er sinemo bruodher Ludhuwige gesuor, geleistit, indi Ludhuwig min herro then er imo gesuor, forbrihchit, ob ih inan es irwenden ne mag, noh ih noh thero nohhein then ih es irwenden mag, widhar Karle imo ce follusti ne wirdhit. | "Si Charles observe le serment qu’il a juré à son frère Louis et que Louis, mon seigneur, rompt celui qu’il a juré, si je ne puis l’en détourner, ni moi ni aucun de ceux qu’en pourrai détourner, je ne lui prêterai aucune aide contre Charles." |
Quibus peractis, Lodhuwicus Renotenus per Spiram, et Karolus iuxta Wasagum per Wizzunburg Warmatiam iter direxit. | Cela terminé, ils prirent le chemin à Worms, Louis le long du Rhin par Spire et Charles le long des Vosges par Wissembourg. |
*lostanit:
De diverses lectures et interprétations de ce passage ont été proposées. Le sens de ce "non lostanit" semble clair: "ne le tient pas". Philippe Lauer l'analyse comme "l'ostanit" = non l'obstient, du verbe obstenir qui signifiait "maintenir" en ancien français. Diez, et après lui Poerck, y lisent un "los tanit" = lo se tanit, avec un pronom lo, un reflexif se et le verbe tanit = tenir - Diez y voit un présent (tient), Poerck un imparfait (tenait). Hilty lit "lof tannit", avec le nom lof (lieu) et le verbe tenir au subjonctif, et voit dans ce "lieu tenir" une expression pour "tenir bon". Signalons aussi l'interprétation de Gaston Paris qui lisait "lo suon fraint" (le sien fraint, c-à-d. brise), ce qui semble un peu fantaisiste.