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Citation n°140981

Les Français qui ont toujours plaisanté sur tout, même sur leur misère, sur leurs plus grands malheurs, plaisantaient sur leurs attroupemens à la porte des boulangers, où ils avaient plutôt l'air de demander l'aumône qu'une marchandise dont ils payaient le prix. Fatigués de s'estropier pour arriver les premiers, ils s'avisèrent enfin de mettre quelqu'ordre pour recevoir la légère distribution qui leur était faite ; ils formèrent de longues files, dans la rue, à la suite les uns des autres, de manière que ceux qui élaient arrivés les premiers à la porte du boulanger, qui avait toujours soin de la tenir close, recevaient les premiers leur petite portion de pain. J'ai vu des femmes passer des nuits entières à ces malheureuses portes, pour avoir une once ou deux de mauvais pain, dont les chiens ne voulaient pas. Eh bien ! les Parisiens riaient de ces tristes rassemblemens ; ils appelaient cela des queues. Comme on manquait de tout, on allait à la queue de tout, à la queue du pain, à la queue de la viande, à la queue du savon, à la queue de la chandelle ; il n'y avait rien qui ne fût à la queue. Les journalistes, les auteurs de pièces de théâtre transportaient cette idée dans leurs articles, dans leurs comédies : il n'y avait pas de faction, pas de coterie qui ne fût à la queue de quelqu'individu. Avant la révolution tout était à la grecque ; pendant la révolution tout était à la queue. On voit à combien de mauvaises plaisanteries tout cela pouvait donner lieu.

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