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Revue de presse de Dauzat, L'argot de la guerre

Notice du livre : Dauzat (Albert). L'argot de la guerre

Revue de presse

Le Monde

Un espéranto né dans la boue

Pendant que le pays comptait ses morts, un homme se mit à compter les mots que la guerre avait enfantés. Linguiste galonné, auteur d’une thèse sur la géographie phonétique de la Basse-Auvergne, Albert Dauzat publia en 1918 une très sérieuse enquête sur le langage des combattants (L’Argot de la guerre, Armand Colin, 278 p., 18 €). Il fut le premier surpris du résultat. En quatre ans, constatait-il, la langue française s’était enrichie de plus de 3 0001 mots ou expressions, dont un tiers de purs néologismes !

On sait depuis Barrès que les tranchées ont rapproché les "diverses familles spirituelles de la France". On apprend avec Dauzat qu’elles furent aussi un formidable creuset linguistique. C’est alors que le Lyonnais eut le loisir d’y partager sa gnôle, le Champenois son pinard, l’Angevin sa tambouille et l’Arabe son caoua. Autant de mots qui se répandirent comme une traînée de poudre. A l’instar de ces vieux termes confinés jusque-là aux bas-fonds parisiens : nul ne pouvait plus ignorer, désormais, ce que signifiait aller en tôle, se faire zigouiller ou être rétamé. De même que l’on découvrit, grâce au béarnais, que l’on pouvait aussi se faire traiter de fils de pute…

Albert Dauzat aurait pu se contenter d’un relevé pittoresque de ce qu’on appelait à l’époque "l’argot des tranchées". Il a fait bien mieux. Chaque exemple, sous sa plume, est décortiqué à l’aune d’un phénomène linguistique reconnu (altération, métaphore, emprunt, etc.). Et chaque étymologie y est discutée. On y apprend ainsi que le verbe roupiller, qui connut en 1914-1918 un grand succès, était connu à l’intérieur de l’armée depuis le XVIe siècle. Une époque où les soldats français découvrirent la roupille, le large manteau dans lequel leurs adversaires espagnols se drapaient pour dormir.

On l’aura compris : ce livre est indispensable pour tout comprendre à l’aventure lexicologique du boche et du poilu, décrypter le mystère du frometon et de la barbaque, ou sonder l’origine du mot toubib. Indispensable, aussi, pour retrouver le sens perdu, une fois la guerre terminée, de la rognure de taxi, des mies de pain mécaniques et des assiettes plates. Car c’est bien là l’ironie de l’histoire : en matière de mots, on se dit que la paix fut finalement une plus grande faucheuse que la guerre.

Thomas Wieder

(Source : Le Monde ; récupéré sur http://antoine.michelot.free.fr/(valider les liens)).

 

1 Le texte de Dauzat donne : 2000

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