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Assez souvent, après la locution sans que , lorsqu’elle dépend d’un verbe construit avec négation.
Onde sans cesse émue / Où l’on ne jette rien sans que tout ne remue ! (Hugo, Hern., IV, 2.) — Je ne saurais te dire un mot de près […] sans qu’un grand sabre crochu ne s’embarrasse dans mes jambes (Musset, Chandelier, I, 1). — Je n’ai jamais causé avec un Italien sans que la conversation ne tournât de suite à la politique ( Taine, Voy. en It., t. I, p. 355). — Il ne se tue pas un cochon dans la paroisse sans que je n’en aie ma part ( Mauriac, Agneau, p. 195). — Il ne se passe pas de semaine sans qu’un universitaire à la page ne parte en guerre contre la littérature antérieure à notre temps (Gaxotte, dans le Figaro, 15-16 avril 1972).
On trouve aussi ne quand la proposition contient un terme ordinairement auxiliaire de la négation mais positif en l’occurrence (cf. § 1021) : On voudrait l’avoir chérie petite fille […] sans que d’autres aient eu ses caresses, sans qu’aucun autre ne l’ait possédée, ni aimée, ni touchée, ni vue (Loti, Aziyadé, III, 60). [Remarquez l’absence de ne dans la 1re propos.] — Certains personnages […] disparaissaient sans que l’on n’en entende plus parler le moins du monde (Faguet, introduction de : Tolstoï, Anna Karénine, Nelson). — Elle entrait au salon sans qu’aucun craquement n’eût annoncé sa venue (Mauriac, Pharisienne, p. 100). — Des semaines peuvent s’écouler, sans que personne n’y passe (Schlumberger, Saint-Saturnin, p. 325). — Sans que rien entre nous n’eût été dit, je me redressai (Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire ? p. 262). — La journée s’écoulait sans que personne ne vînt ( Troyat, Faux jour, pp. 157-158). — Le port sarrasin y était fidèlement reproduit, sans que rien ne trahisse sa noblesse précieuse ( Lanoux, Commandant Watrin, II, 5). — Des choses pareilles arrivaient tous les jours, sans que nul ne songeât à s’en scandaliser ( M. Brion, Laurent le Magnifique, p. 226). A5— Malgré toutes ces références, il est fâcheux, pour la clarté de la communication, que le ne explétif puisse être confondu avec le ne vraiment négatif : cf. § 1023, N. B. 2.
Phénomène analogue, avec ni dans la proposition (cf. § 1085, b, 4°) : Sans que mon beau-frère ni ma sœur n’eussent articulé un seul mot […] et ne se fussent départis de leur gravité, Mgr Durand prit la parole ( Hermant, Discorde, p. 194). — Les années se sont succédé […] sans qu’Ingrid ni Rigaud ne m’occupent particulièrement l’esprit (Modiano, Voy. de noces, p. 22).
On trouve même ne alors que la proposition ne dépend pas d’un verbe construit négativement : Le lieutenant répondit militairement au salut sans qu’un muscle de sa figure ne bougeât (Proust, Jean Santeuil, t. III, p. 61). — Les portes restent béantes sans que ne se lise sur ses traits cette crispation […] (Morand, Papiers d’identité, p. 160). — Il eût souhaité […] d’être respecté, honoré, et s’il eût été possible, sans que cela ne lui coûtât trop cher, aimé (Bernanos, Lettre aux Anglais, p. 89). — Il se passait une semaine entière sans que le camion ne vienne au camp ( Le Clezio, Étoile errante, p. 263). — Le plus ardu sera de garder cette écervelée en votre pouvoir, sans que les siens ne poussent des cris (Chamson, Superbe, p. 404). — Parfois, quoique le verbe dont dépend la proposition ne soit pas formellement négatif, l’idée de l’auteur équivaut à une négation : La vapeur du tabac vous sort-elle du nez / Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? ( E. Rostand, Cyr., I, 4.) — M’est-il possible d’en jouir sans qu’une de mes pensées ne s’oriente, ne s’élève et ne dise […] (Barrès, Voy. de Sparte, p. 257). — Peu de jours se passaient sans que Paris, épouvanté, n’apprît quelque meurtre mystérieux (France, Révolte des anges, p. 31).
L’Acad., dans une “ mise en garde ” du 17 février 1966, déclare que “ sans que doit se construire sans négation, même s’il est suivi d’un mot comme aucun, personne ou rien, qui ont dans ces phrases un sens positif ”. — D’une façon générale, ne explétif après sans que est souvent blâmé parce que sans est négatif à lui seul. Mais l’usage littéraire, même celui des académiciens, n’est guère sensible à ces proscriptions.