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forum abclf » Histoire de la langue française » Histoire et préhistoire du français

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Messages [ 1 à 50 sur 97 ]

Sujet : Histoire et préhistoire du français

C’est une discussion avec oliglesias qui m’a donné l’idée de ce sujet. Celui-ci pourra intervenir pour évoquer l'espagnol… D’autres aussi, je l’espère.

Pas de « cours » rébarbatif et surtout inutile, vu ce qui circule en ligne…

Seulement des petits faits curieux, ou simplement remarquables à l’attention des non spécialistes.

Le tout sans progression concertée, plutôt « à sauts et à gambades ».


Je commence :

Note :
1° Le signe  ̆ désigne une voyelle originellement brève en latin, le signe  ̄ une voyelle originellement longue.
2° Je note en gras la voyelle accentuée. En latin, c’est toujours la première dans les mots de deux syllabes.

Problème :

Comment se fait-il que les mots "voie" et "soie" aient la même séquence [wa] en commun alors qu’ils sont issus des mots latins vĭa et sēta  qui n’ont apparemment rien de commun à part leur finale ?


Réponse :

Tout simplement parce qu’au cours de l’époque impériale, les différences de quantité des voyelles  s'effacent peu à peu, sauf en poésie.
Certaines voyelles, en revanche, acquièrent un timbre différent selon leur quantité initiale.

C’est ainsi que l’ancien e long (ē) devient un e fermé, noté ẹ dans l’alphabet Bourciez. C’est le son que nous rencontrons dans le mot "été", par exemple.
Quant à l’ancien i bref (ĭ), il aboutit exactement au même son ẹ !
Curieux, non ? Par quelle fantaisie ? Ce n’est pas l’objet de mon propos.

Non plus que celui d’expliquer pourquoi cet ẹ est devenu l’improbable groupe [wa] en français moderne, en passant par les intermédiaires [ey], puis [wè] en ancien et en moyen français.

Ce qu’il faut simplement remarquer, c’est qu’il est tout à fait normal que vĭa et sēta aient donné des mots au vocalisme identique, vu que c’était déjà le cas à l’époque du bas-empire, en dépit de ce que l’orthographe littéraire, conservatrice, pouvait laisser supposer.

Vu l’expansion de l’Empire romain, on doit s’attendre à ce que les langues de la Romania aient hérité de la même particularité. Est-ce le cas ? Vous pourrez nous le dire si vous connaissez une langue romane, nationale ou non, ou un dialecte.

Voici d’autres exemples qui montrent cette particularité. On pourra juger d’après eux de la stupéfiante régularité des changements phonétiques :

pĭlum > "poil" comme tēla > "toile" ; pĭra > "poire" comme sēro (ou sērum) > "soir" ; fĭdem > "foi" comme mē > "moi", etc…     

Mais attention !

- tout son [wa] ne résulte pas de l’évolution du ẹ  bas-latin, il y a d’autres cas.
- tout ẹ  n’évolue pas en [wa] ; il faut que la voyelle soit accentuée et que la syllabe où il se trouve soit "libre", c'est à dire non fermée par une consonne.


D’autres sons latins se sont-ils confondus ? Nous le verrons prochainement.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

2 Dernière modification par Abel Boyer (09-03-2019 22:04:19)

Re : Histoire et préhistoire du français

Intéressant. Merci.
Quid du "foie" ?

Re : Histoire et préhistoire du français

Ce mot est issu de l'expression iecur ficatum (foie engraissé aux figues, foie gras).

Le i de ficatum est bien bref, mais l'accent classique est sur le a long. Le i bref n'aurait donc pas dû donner [oi].
On explique cette particularité par un déplacement de l'accent, sur le i, opéré en latin tardif.
De plus, le voisinage du c a joué : le [k] intervocalique s'est sonorisé, puis est passé à [y]. On a donc deux raisons cumulées pour que le i bref ait donné [oi] :

ficatum > *fegat(u) > *fey(e)t > feie > foie.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Histoire et préhistoire du français

Lévine a écrit:

ficatum > *fegat(u) > *fey(e)t > feie > foie.

ERRATUM : c'est évidemment le -t final caduc qu'il faut mettre entre parenthèses, et non le -e : *feye(t) > feie> foie.

Abel, souhaitez-vous une explication complète à propos du mot foie ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Histoire et préhistoire du français

Merci Levine. Je n'en demande pas plus.

6 Dernière modification par vh (10-03-2019 23:49:43)

Re : Histoire et préhistoire du français

Oui continuez avec foie, voie, oie, soie.

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

Re : Histoire et préhistoire du français

Merci Lévine de vous être occupé d'ouvrir ce fil. Je n'ai pas réussi à trouver le temps ces dernières semaines pour le faire !
Et puis, étant donné que ce forum est consacré au français, vous étiez bien plus légitime que moi !

J'ai beaucoup aimé ce premier message. Je vais, évidemment, apprendre beaucoup grâce à vous et ainsi approfondir mes connaissances en phonétique historique.

Je voudrais commenter votre question :

Lévine a écrit:

Vu l’expansion de l’Empire romain, on doit s’attendre à ce que les langues de la Romania aient hérité de la même particularité. Est-ce le cas ? Vous pourrez nous le dire si vous connaissez une langue romane, nationale ou non, ou un dialecte.

La même particularité ? Oui, probablement comme vous le dites. En espagnol, c'est le cas (en partie), évidemment, puisque comme vous le dites, c'est déjà en latin que le ĭ, le /i/ bref donc, en latin classique, et, dès la perte de la durée et la phonologisation du timbre (c'est-à-dire que ce qui permet de distinguer différents mots, ce ne sera plus la longueur vocalique mais leur degré d'ouverture), le [ɪ] (/i/ ouvert) va se confondre avec le [e].

Cela se produit donc également en espagnol. Mais, dans cette langue romane, ce phonème ne changera plus et on a donc, pour la plupart des exemples indiqués par Lévine, un /e/ en espagnol moderne :

pĭlum > "pelo" comme tēla > "tela" ; pĭra > "pera" comme sērius  > "serio" ; fĭdem > "fe" comme mē > "me", etc…


Ce qui m'a intéressé le plus dans votre message, c'est que vous avez pris comme exemple "voie" et "soie" pour illustrer ce changements phonétiques (la diphtongue /wa/ en français qui vient autant du /i/ bref que tu /e/ long latin classique). Pourquoi ? Parce que, en réfléchissant à ce qui se passe en espagnol, vous mettez en lumière un cas que je ne saurais expliqué... pire, un cas que je n'ai jamais lu quoi que ce soit dans les livres ou manuels de phonétique historique de l'espagnol.

Pourquoi le "vĭa" latin a donné "vía" en espagnol, alors que le /i/ bref (et ensuite ouvert), même en position tonique, a évolué en /e/ fermé/ ?

Autre élément qui me perturbe dans ce que vous énoncez : le mot pour désigner le "foie" en espagnol est "hígado", qui vient, comme en français de ficatum. L'accent est bien sur le /i/ en espagnol, donc on a bien eu, comme en français un déplacement de l'accent (c'est un changement pas si rare que ça et qui se produit déjà dans les premiers siècles de notre ère en latin vulgaire). Mais on a un /i/ aujourd'hui. Or, s'il s'agissait d'un /i/ bref en latin, on aurait dû avoir /e/ aujourd'hui en espagnol. D'ailleurs, mon dictionnaire étymologique de l'espagnol (de Joan Corominas, archi connu des hispanistes) dit que FICATUM comportait un /i:/ (long donc).

On a donc, pour ce mot, un nouveau mystère : /i/ bref en latin ? (d'où la diphtongaison en français) Ou alors /i:/ long en latin ? (d'où le maintien du /i/ en espagnol).
En fait, le mystère n'en est pas vraiment un puisque Corominas, dans son manuel, indique qu'on disait "fégado" au XIIIè siècle et, par conséquent, c'est bien que le /i/ était bref en latin. Le rétablissement du /i/ à la place du /e/ attendu doit simplement être une volonté de se rapprocher du latin (sinon, difficilement explicable).

Pour en revenir aux autres langues romanes, je voulais simplement ajouter que le catalan (et le portugais si je ne me trompe pas) connaissait la même évolution qu'en espagnol, autrement dit, l'évolution s'arrête à /e/ fermé. La diphtongaison est donc une évolution typiquement française (probablement influencé par les parlers pré-romans, ou même, pourquoi pas, par les colons eux-mêmes, différents de ceux qui ont colonisé la péninsule ibérique).

Et pour terminer, une petite remarque ou question à propos de ceci :

Lévine a écrit:

mē > "moi"

Je crois, à nouveau, remarquer une différence entre français et espagnol. En tout cas, j'ai du mal à comprendre les évolutions de ces deux langues.

"moi" en espagnol se dit "mí" avec un /i/ tonique. Impossible donc, a priori, qu'il vienne d'un /e:/ latin.
Si j'en crois mon dictionnaire de Corominas, "mí" en espagnol viendrait de MIHI en latin classique (qui devait se dire en latin vulgaire MI avec un /i:/ et qui devait être la forme du datif, non ?).

"me" en espagnol viendrait donc de l'accusatif "mē", logique, car "me" est encore aujourd'hui accusatif.

Mais si "mē" en latin est accusatif, comment peut-on justifier que "moi" vienne de "mē" et pas de MIHI ?

Si "moi" venait de "mē", cela voudrait dire que "me" et "moi" ont la même origine. Ce ne serait pas aberrant : le /e:/ long n'aurait pas évolué en /wa/ parce qu'il est atone (et si je ne me trompe pas, il semblerait que ce changement ne se produise qu'en position tonique). Mais ce serait pour le moins "étrange" qu'une forme de "datif" en français actuel "moi" vienne d'un accusatif en latin...

De plus, il semble difficile que "moi" vienne de MIHI si le I latin était long.

Je m'interroge donc sur les origines des pronoms "me" et "moi" en français d'un côté et de "me" et mí" en espagnol de l'autre.

Re : Histoire et préhistoire du français

Bonjour oliglesias,

Je réponds rapidement à votre dernière question car je manque un peu de temps.
mihi se contacte en mi (i long) dès l'époque républicaine (cf. inscr.) et tibi en ti (i long). A partir de là, je ne peux évidemment pas vous répondre pour ce qui est de l'espagnol. Ces deux formes n'ont pas été continuées en francien (j'ai promis de m'expliquer sur ce terme).
Pour ce qui est du français, il faut distinguer, comme vous l'avez dit, la forme tonique du pronom, accentuée, soit par une mise en relief soit derrière une préposition, etc..., et la forme atone, proclitique, et dont le e évolue naturellement vers le "e muet" susceptible d'élision (mais pas systématiquement en AF).

Pour le reste, je vois que j'ai du pain sur la planche...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Histoire et préhistoire du français

Lévine a écrit:

mihi se contacte en mi (i long) dès l'époque républicaine (cf. inscr.)

Par contre, ce qui est amusant, c'est qu'en latin "français", on a longtemps écrit et prononcé "michi" au lieu de "mihi", comme on le voit encore parfois dans des chants en latin que j'ai eu l'occasion de chanter.
https://books.google.fr/books?id=gvAOAA … mp;f=false

10 Dernière modification par Lévine (11-03-2019 19:52:15)

Re : Histoire et préhistoire du français

Oui, c'était une façon de restituer le h latin, mais de manière tout artificielle. Dans les lettres d'Abélard et Héloïse, michi est toujours écrit ainsi, ça fait drôle.

Tiens, en parlant de michi, les formes picardes mi, ti, si, encore bien vivantes, reposent sur mihi > mī. Je viens de contrôler dans la grammaire de l'ancien français de Gérard Moignet (éd. Klincksieck), je ne pouvais pas le faire tout à l'heure.

En italien, on a pensa a me, mais ascoltami et dammi la mano.
____________
Merci oliglesias pour les exemples espagnols. La collaboration va s'avérer fructueuse je crois.

Mais à présent, il s'agit de répondre à vh.

VOIE

1. Haut-Empire : vĭa > *va
2. VIème siècle : *va > *via (début de diphtongaison due à la fermeture extrême de la voyelle en fin d’émission).
3. Fin du VIIème siècle : *via > *vie > vęie (la finale s’affaiblit et aboutit à un e central. Ce –e va rester longtemps plus ou moins audible suivant son environnement (cf. les habitudes le concernant dans la poésie classique).
A la même époque, le é s’ouvre en è (par souci de différenciation). La forme graphiée veie est courante en AF avant Chrétien de Troyes.
4. Milieu du XIIème siècle : vęie > *vǫie (nouveau souci de différenciation, le e ouvert risquant d’aboutir à œ̨ (comme dans neuf) et à une fermeture ultérieure).
5. XIIIème siècle : *vǫie > *vǫe (l’accent tend à se déplacer sur le second élément et modifie son timbre) ; *vǫe > *vue > vw(e) (le premier élément devient une semi-consonne ; il n’y a plus de diphtongue et on ne peut jamais faire la diérèse dans ce mot en poésie).
6. Le parler de Paris fait passer wẹ à wa à l’époque « moderne » (XVIIème), mais longtemps, cette prononciation a été combattue par les puristes qui ne l’admettaient que dans certains mots. Je n’insiste pas. Donc vwẹ(e) > vwa (voie).
La graphie oi, apparemment aberrante, vient d’un autre groupe –oi, résultant de la rencontre d’un ẹ et d’un yod (je n’insiste pas non plus), et qui a reçu un traitement analogue.

SOIE

1. Haut-Empire : sēta > sta
2. Bas-Empire : sta > sda (le -t- intervocalique se sonorise).
3. VIème siècle : sda > sida (v. supra).
4. VIIème siècle : sida > siδa (le -d- intervocalique devient spirant (comme le th anglais dans the, mais plus faible, un peu comme Odense en danois).
5. Fin VIIème : siδa > siδe >  sęiδe (v. supra).
6. Fin XIème : sęiδe > sęie (amuïssement du δ, resté graphié -d- dans la graphie de la « vie d’Alexis » (vers 1040), notre premier chef-d’œuvre littéraire soit dit en passant). On a seie en AF avant Chrétien.
La suite comme précédemment à partir de 4.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

11 Dernière modification par Lévine (12-03-2019 20:58:36)

Re : Histoire et préhistoire du français

OIE < auca (anciennement *avica)

1. Époque républicaine : auca > *ōca (sous l’influence des parlers « campagnards » italiques, mais cette diphtongue va parallèlement subsister assez longtemps dans certaines parties de la Romania).

2. Époque impériale : *ōca > *ca  (de même que le ē avait abouti à ẹ, ō aboutit à ọ, le o fermé de « hôte »).

3. Bas-Empire : *ca > *ga (sonorisation du -k- après o et u et devant a)

4. VI-VIIème siècles : *ga > *γa > *a (le -g- devient spirant et s’amuït)
Vous constatez une évolution comparable au -t- de t, à ceci près que le -t- a « résisté » plus longtemps.

5. Fin du VIIème : *a > e (« oe » est la forme attestée en AF, de même que « oue », avec une poursuite de l’évolution sur laquelle je n’insiste pas).
La forme « oie », écrite au début « oye », que l’on trouve à partir du milieu du XVème siècle, donc en moyen français, n’est pas justifiable phonétiquement : c’est une réfection à partir des mots « oison » ou « oiseau » qui, présentent un oi- résultant d’un évolution régulière, sur laquelle je n’insiste pas. 


FOIE < fĭcătum < fĭcātum 
Le déplacement de l’accent ne relève pas de la philologie romane, mais je l’aborde néanmoins.
On l’explique par l’influence de deux mots grecs accentués sur l’antépénultième :
Bourciez (Phonétique française, étude historique, éd. Klincksieck, p. 38) cite le mot hēpătis, génitif de hēpăr, calque du grec ἧπαρ/ἥπατος, foie ; Fouché (Phonétique historique de français, t. II, éd Klincksieck, p. 157)  cite σύκωτον (= ficatum), déformation populaire de συκωτόν influencée par σῦκον (« figue ») et σύκινος (« relatif au figuier »). Cette influence serait due à des cuisiniers grecs qui auraient introduit une recette de « foie gras » ou une manière d’accommoder des foies de volaille avec des figues.

1. Époque républicaine : fĭcātum > *fĭcātu (débilité ancienne du -m final maintenu dans l’écriture)

2. Haut-Empire : *fĭcātu > *fcatu (v. sup.)

3.
V-VIème siècles : *fcatu > *fgatu > *fγatu > *fyatu (le -k- derrière ẹ et devant a va évoluer vers yod en raison du caractère fermé du yod, au contraire du -k- après ọ vu dans le mot précédent.

4. VII-VIIIème siècle : *fyatu > *fyat > *fye̥t (effacement des voyelles autres que –a en finale absolue, sans doute après passage à un son central peu distinct. La voyelle –a, devenue finale, commence à relâcher son articulation).

5. VIIIème *fye̥t > *fye̥d > *fye̥δ (sonorisation et spirantisation du -t final)
Parallèlement, à partir du VIIème siècle, le groupe ẹy va évoluer exactement comme le ẹi de vẹie (v supra 3.) et aboutit donc à -oi : donc *fẹye̥t > … foie̥.

Notre groupe -oi peut donc avoir plusieurs origines.

6. XIème siècle : *feie̥δ > *feie̥ > *fei(e̥) > feie  (amuïssement du δ final, mais on persiste longtemps à écrire cette finale -t ou -d, surtout si elle sert de marque morphologique, ce qui n’est pas le cas ici).

___________________

@oliglesias

a) Pour via, je ne sais pas. Est-ce que la séquence -ea était viable en espagnol ? A-t-on voulu éviter le rapprochement des apertures en fermant le e, redevenu i ? Le i de l'étymon n'est pas devenu long ?

b) Pour ce qui est de higado, Fouché (op. cit. p. 157) répond à votre question. Lors du déplacement d’accent, le i s’est allongé et l’espagnol, ainsi que le portugais et le logoudor ont emprunté cette forme avec un i long. Mais le français et les autres langues romanes ont vu ce -i s’abréger de nouveau en vertu de la règle de l’abrégement des antépénultièmes longues dans les proparoxytons (cf. frīgĭdum > *frĭgĭdum > froid)

c) Pour ce qui est de l’évolution de certaines voyelles, oui, le français est de loin la langue qui s’est le plus éloignée du latin.

d) Sur le moi tonique et le me atone, je vous ai répondu plus haut.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

12 Dernière modification par vh (12-03-2019 21:10:31)

Re : Histoire et préhistoire du français

Merci.
Où trouve-t-on la description de l'alphabet phonétique que vous utilisez ?


<<Pour ce qui est de l’évolution de certaines voyelles, oui, le français est de loin la langue qui s’est le plus éloignée du latin.tin.
Comment explique-t-on ceci ? Influence germanique ?

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

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Re : Histoire et préhistoire du français

L'alphabet Bourciez est l'alphabet dit des "romanistes", utilisés dans les ouvrages spécialisés, les examens et les concours.
Mais qu'entendez-vous par description ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

14 Dernière modification par vh (12-03-2019 21:21:17)

Re : Histoire et préhistoire du français

Une explication de cet alphabet pour les non-spécialistes.

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

Re : Histoire et préhistoire du français

vh a écrit:

Une explication de cet alphabet pour les non-spécialistes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alphabet_de_Bourciez

16 Dernière modification par Lévine (12-03-2019 21:26:20)

Re : Histoire et préhistoire du français

Dans le sujet dont j'ai pris l'initiative, je pense expliquer chaque signe dont j'ai besoin pour rédiger chaque message. J'ai commencé avec deux ou trois d'entre eux
Cela dit, si vous voulez le tableau (presque) complet des signes utilisés pour le français et leurs correspondances avec l'API, je ne peux que vous renvoyer à celui-ci :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alphabet_de_Bourciez

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Re : Histoire et préhistoire du français

Belle unanimité ! lol

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Histoire et préhistoire du français

vh a écrit:

Merci.
Où trouve-t-on la description de l'alphabet phonétique que vous utilisez ?


<<Pour ce qui est de l’évolution de certaines voyelles, oui, le français est de loin la langue qui s’est le plus éloignée du latin.tin.
Comment explique-t-on ceci ? Influence germanique ?

Le rôle du substrat gaulois ne doit pas être sous-estimé ; le peuple a parlé gaulois jusqu'au IVème siècle et cette langue a pu jouer un rôle dans l'évolution du phonétisme latin. Le superstrat germanique a influencé la langue, bien sûr, mais plus dans le domaine du lexique, de l'onomastique, de la toponymie et de la morphologie (suffixes). Sauf dans certaines régions du Nord, le peuple gallo-romain ne s'est pas vraiment mêlé aux germains ; les "envahisseurs" étaient peu nombreux et leurs chefs, rivaux et même ennemis, n'avaient qu'une hâte : se couler dans le moule administratif légué par l'Empire et s'unir à l'aristocratie gallo-romaine... Ils n'étaient pas en mesure de "germaniser" le pays en profondeur.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

19 Dernière modification par Lévine (13-03-2019 22:58:20)

Re : Histoire et préhistoire du français

Poursuivons.

Question :

Y a-t-il d’autres voyelles latines qui aient confondu leur timbre au cours de l’histoire du latin ?

Réponse :

Oui. De même que les voyelles ē et ĭ ont toutes deux abouti à ẹ (é fermé), les voyelles ō et ŭ ont abouti à ọ (o fermé), pas dans toutes les régions de l’Empire cependant.

On doit donc s’attendre à ce que le ō et le ŭ aient donné le même son en français à condition qu’ils soient accentués et qu’ils figurent dans une syllabe libre (non fermée par une consonne) :

Précision : dorénavant, je présente les étymons sans le -m final de l’accusatif, comme c’est le cas dans les ouvrages modernes. J’ai dit plus haut que le -m était tombé assez tôt dans la langue vulgaire ; elle n’intéresse donc pas la grammaire historique française.
J’en profite pour préciser que « latin vulgaire » ne signifie pas « bas-latin ». Le latin vulgaire, c’est ce que Cicéron nomme le sermo plebeius, le latin spontané des couches populaires, celui qui se parle mais ne s’écrit pas, sauf dans les inscriptions pariétales (cf. Pompéi). Il n’est donc en rien « tardif », Plaute lui emprunte du reste des tournures.

Voyons l’évolution de ce son (la forme médiane est celle que l’on trouve aux XI-XIIème siècles) :

a) Mots latins comportant un ō accentué :
flōre > flọur (noté flor ou flour) > fleur (eu ouvert, noté œ̨).
vōtu > vọ (vo ou vou) > vœu (eu fermé cette fois, noté œ̣).
La fermeture de ce son en syllabe finale s'effectue à l'orée de l'époque "moderne".
sapōre > savọr (savor) > saveur (eu ouvert).

b) Mots latins comportant un ŭ accentué. Il y en a en fait très peu.
gŭla > gọle > gueule (eu ouvert).
dŭos > dọ(s) (dous) > deux (eu fermé).

On a donc bien le même traitement.   

Problème : pourquoi lŭpu n'a-t-il pas donné "leup" ?
C'est ce qu'il a donné dans certains dialectes (cf. à la queu leu-leu). En "français", le ŭ n'a pas évolué vers œ̨ quand il se trouvait devant une bilabiale (les bilabiales sont des consonnes qui se prononcent avec les lèvres d'abord fermées, puis ouvertes pour livrer le passage à l'air. On dit que leur mode d'articulation est occlusif. On les appelle donc des occlusives bilabiales. Ces consonnes sont p, b et m.
C'est aussi pourquoi on a cŭbat > couve et non **cœuve.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Histoire et préhistoire du français

Question :
D’où vient que l’on a pied en français, alors que l’étymon latin est pĕdem ?  Comment expliquer cet « i » ?

Réponse :
On a vu que le système vocalique du latin s’était peu à peu transformé au cours de l’époque impériale. L’opposition de quantité (voyelles longues/voyelles brèves) s’est perdue, et une réorganisation du système s’est opérée.

On a vu ainsi que :
a) le ē et le ĭ avaient confondu leur timbre pour donner ẹ (e fermé, comme dans été),
b) le ō et le ŭ avaient fait de même pour donner ọ (o fermé, comme dans côte).

Parlons à présent des anciennes voyelles brèves : ĕ et ŏ :
a) ĕ a donné ę (e ouvert, comme mai),
b) ŏ a donné ǫ (o ouvert, comme dans cotte).

On remarquera au passage la parfaite « corrélation » des changements phonétiques, comme disent les linguistes. Ces changements ne s’effectuent pas au hasard, mais forment un système aisément modélisable. Nous le ferons fréquemment observer.

Revenons à pĕde(m).

Dès le IIIème siècle, dans la majeure partie de l’aire gallo-romane, l’accent tonique a eu comme effet d’allonger artificiellement la voyelle, et de la scinder en deux éléments qui vont peu à peu se différencier par dissimilation.

pĕde(m) > *pęde(m) > *pęde(m) > *pięde(m) > *pyęde(m) >  pied, prononcé [piẹ].

Le phénomène est comparable, bien que non identique, à celui qui avait amené ẹ à wę (-oi)

D’autres exemples :
mĕl > miel ; si le e avait été long en latin, on aurait eu **moil !
fĕl > fiel,
hĕri > hier ; comparer avec l’AF (h)oir < hēr(e)dem.
bĕne > bien,
lĕpore > lièvre,
assĕdet > assied (forme étymologique, assoit est une réfection),

Complément :
Est-ce tous les ĕ aboutissent à –ie ?

Non : la voyelle doit être accentuée et en syllabe libre.

Dans les deux cas suivant, la syllabe est entravée, le ĕ reste intact :
tĕstam > tête
sĕptem > sept

Il se peut par ailleurs que le i ait une autre origine. Je me suis limité ici aux cas simples.

Question :
D’autres langues romanes sont-elles concernées par ce traitement ?

Réponse :
La plupart, à l’exception notable du portugais, de l’occitan et du catalan.

On a ainsi :
mĕl > miele (it.), miel (esp.), miere (roum.) mais mel (port.) et mel ou meu (occ.),
pĕdem > piede (it.), pié (esp.) mais pé (port.) et pè (occ.) (le roumain innove).

Il est d’usage d’appeler ce phénomène diphtongaison romane ; cependant :
- il n’a pas eu lieu sur toute la Romania, comme on l’a vu,
- le mot diphtongaison est commode, mais il ne concerne qu'une phase de la transformation du ĕ. Très tôt, le « i » dégagé est devenu la semi-consonne y, et c’est ce qui explique que les règles de la métrique classique n’admettent pas la diérèse sur ce type de mots (à l’exception rare au demeurant, de hier). La remarque vaut aussi pour les mots en –oi, comme on l’a vu.

A bientôt !

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Histoire et préhistoire du français

Question :
Y a-t-il une autre voyelle d’origine latine qui ait subi cette « diphtongaison romane » ?

Réponse :
Oui. De même que le ĕ > ę a abouti à ię (iẹ), le ŏ > ǫ a abouti à ọǫ, puis à uǫ, ue  et enfin œ̨.

Ex : mŏla(m) > muole > meule ; nŏvu(m) > nuef  > neuf ; *pŏtet > puet > peut ; proba(m) > prueve > preuve ; *mŏrit > muert > meurt ; cŏr > cuor > cuer > cœur.

Cette diphtongaison ne concerne que le ǫ accentué et en syllabe libre (ou fermée par –r).
Ainsi, mŏrte(m) > mort : dans ce mot, il n'y a pas de diphtongaison car le ŏ est en syllabe fermée.

Le phénomène a débuté au IVème siècle pour s'achever au XIIIème.

Note : La distinction œ̨/œ̣ selon que la syllabe est ouverte ou fermée (peuvent/peut) n'est guère antérieure à la Renaissance. 

Question :
Pourquoi bœuf, cœur, sœur s’écrivent-il ainsi ?

Réponse :
Durant tout le Moyen âge, on trouve les graphies buef, cuer, puis bueuf, cueur (chez Villon), alors même qu’on prononce [bœ̨f] et [kœ̨r] depuis le XIIIème siècle. Mais comme le son est étranger au latin, on ne sait pas comment le graphier, ce qui explique les variantes multiples auxquelles s'ajoutent celles issues des dialectes.
A la Renaissance, la ligature œ a été empruntée au latin classique par souci étymologique, mais aussi pour « étoffer » certains monosyllabes, ou afin d'éviter des confusions, comme seur (> sûr) et sœur.
J’en profite pour signaler que sans le u, le œ se prononce [ẹ], en particulier dans le nom Œdipe. 

Question :
Cette évolution concerne-t-elle les mêmes langues que précédemment ?

Réponse :
Oui : à la forme verbale française "peut" (< *pŏtet) correspondent :
- d’une part l'italien può, l'espagnol puede, le roumain poate, qui connaissent la diphtongaison,
- d’autre part le portugais pode, le catalan et l’occitan pot, qui l'ignorent.

Mais on remarque que le français a poursuivi plus loin l’évolution phonétique, puisque la diphtongue, présente en ancien français, s’est résolue en un son unique dès le XIIIème siècle.
D’une manière générale, le français moderne n’a plus de diphtongue au sens phonologique du terme.

Remarque :
Le ǫ < ŏ et le ọ < ō accentués et en syllabe libre ont finalement tous deux abouti à œ̨/œ̣, mais par des voies différentes (se reporter à l'avant-dernier message).

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Re : Histoire et préhistoire du français

Un grand merci Lévine pour ces messages si intéressants et instructifs. Ce sont des choses que je pouvais supposer par rapport à ce que je sais de l'évolution de l'espagnol, mais j'apprends énormément. Là, je n'ai pas le temps, mais à l'occasion je passerai pour parler un peu de ces diphtongues et de leur réduction dans certains contextes en espagnol, le cas le plus caractéristique car il touche le nom du Royaume de Castille, c'est la réduction de la diphtongue (le /e/ était bref en latin dans CASTELLUM) devant une latérale palatale. Je reviendrai donc ! Et encore merci de partager tout ça ici !

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Re : Histoire et préhistoire du français

Lévine a écrit:

J’en profite pour signaler que sans le u, le œ se prononce [ẹ], en particulier dans le nom Œdipe.

Anisi que dans œnologie, œsophage, œdème, œdicnème, etc. C'est justement la présence, dans certains cas, de la lettre u, qui provoque la confusion.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

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Re : Histoire et préhistoire du français

@oliglesias

Quand vous voulez ! Ce sujet doit être "collaboratif".

@ Alco

En vieux prof de lettres classiques, j'ai avant tout pensé à Œdipe, dont le nom est si souvent mal prononcé par les candidats.
Une fois, j'en ai même entendu un dire : "Édipe... non : Eudipe !" lol

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Re : Histoire et préhistoire du français

Se faire reprendre par un ignorant, c'est quelquefois irritant. Un jour, je disais à une personne « je vais à Paris », et elle m'a repris aussitôt « sur Paris » en accentuant la préposition.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

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Re : Histoire et préhistoire du français

Ah oui, mais dans le cas que j'ai cité, le candidat avait d'abord bien prononcé, puis s'est malencontreusement repris.

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27 Dernière modification par Lévine (18-04-2019 09:31:56)

Re : Histoire et préhistoire du français

Question :
Existe-t-il d’autres cas de diphtongaison spontanée touchant des voyelles latines dont nous n’avons pas encore parlé ?

Réponse :
Oui. Commençons par le a latin. Qu’il fût bref ou long, il a gardé son timbre dans le latin vulgaire de la période impériale, un timbre du reste assez mal déterminé. Suivant les époques et les régions, il a pu exister un a antérieur (celui du FM « patte ») et un a postérieur (celui de « pâte »), mais si c’est le cas, leur traitement ne permet absolument pas de les distinguer. 

Ce a, accentué et en syllabe libre, a évolué vers ę ou ẹ, suivant sa position dans le mot, en passant par un intermédiaire *aę. L’accent, ici comme ailleurs, a eu pour effet d’allonger le son vocalique, ce qui a provoqué sa fragmentation en deux éléments : l’un marqué par une tension, l’autre par un relâchement provoquant un abaissement de l’aperture. Cette diphtongue, suivant une évolution propre au français, s’est ensuite résolue en un son unique. Ce phénomène s’est produit vers le VIème siècle, uniquement dans le domaine d’oïl. En effet, toutes les autres langues romanes conservent ce a intact, c’est pourquoi on parle de diphtongaison française.

On a ainsi măre > mer (mare en italien et en roumain, mar en espagnol, en portugais, en occitan et en catalan) ; pătre(m) > père ; sāl > sel, prātu(m) > pré ; *ad-sătis > assez, etc…

C’est aussi la raison pour laquelle nos verbes du premier groupe sont en –er et leur participe passé en –é.e.
On a en effet, tout à fait régulièrement : portāre > porter (portare en italien) ; portātu(m) > porté (portato en italien), et portāta(m) > portede (dans la Vie d’Alexis, vers 1040) > portée.

Objection :
Comment se fait-il que amāre donne aimer : le a initial n’étant pas accentué, il n’aurait pas du passer à ę. Et d’autre part, pourquoi écrit-on aimer et non **èmer ?

En effet, le a initial, s'il n'est pas accentué, se maintient en français : valēre > valoir, partīre > partir, etc…
Mais dans ce verbe, l’analogie a joué : le son ai- a été généralisé à partir des formes où il se justifie  phonétiquement. Par contre, en ancien français, on a bien amer.

Si je prends l’exemple du présent de l’indicatif du verbe amāre :
āmo, āmas, āmat, amāmus, amātis, āmant,
je constate qu’il y a quatre formes directement issues de l’évolution phonétique, soit celles qui proviennent des formes latines dans lesquelles le ā accentué figure à l’initiale. Mais on a aligné sur elles les deux formes restantes, la 1PP et la 2PP. On parle en ce cas de réfection analogique. Beaucoup de conjugaisons ont été ainsi refaites.
En revanche, au XIIème siècle, on conjuguait :
J’aim, tu aimes, il aime(t), nous amons, vous amez, ils aiment.

On écrit ai- parce que la a accentué, au contact de la consonne nasale m, a vu sa diphtongue passer de aę à ai , puis se nasaliser pour donner, à la 3PS, par exemple, ẽim(e), puis ẽm (au milieu du XIIIème). On ne prononce donc plus le i à partir de 1200 environ, mais on conservera l’orthographe ai-, comme dans de nombreux mots.

Mais attention, le -i de ai- peut avoir d'autres origines que la consonne nasale...

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28 Dernière modification par Lévine (27-04-2019 11:28:57)

Re : Histoire et préhistoire du français

Aujourd’hui, nous allons laisser les diphtongaisons pour nous tourner vers un phénomène d’une grande importance en français : la nasalisation.

Conformément à l’esprit de ce sujet, nous n’aborderons la question que de façon très partielle.


Question 1 :

Comment se fait-il qu’il y ait deux -n à donne et à honneur alors que leurs étymons respectifs, dōnāt et (h)ŏnōre(m) n’en comportent qu’un seul ?

Réponse :

C’est parce qu’au XIIème siècle, le -o qui précède le –n a pris le son [õ] au contact de cette dernière. A présent, une partie de la colonne d’air nécessaire à l’émission de la voyelle passe par les fosses nasales, ce qui explique le nom de nasalisation donné à ce phénomène inconnu du latin.

Durant environ un siècle, on a continué à écrire done et onor (ou enor, pour des raisons que je ne développerai pas ici), mais on prononçait en fait [dõn(e)] et  [õnor].

Voilà pourquoi, vers la fin du XIIIème siècle et en moyen français, on a ajouté un second –n pour accorder la graphie à la prononciation nouvelle, le digraphe –on notant la voyelle nasale, faute de trouver un graphème original, et le second –n la consonne qui suivait cette dernière. Ces mots ont donc comporté deux -n, ce qui était tout à fait logique. 

Mais dès le XVIème siècle, et surtout au siècle suivant, est intervenu un changement capital qu’on a appelé la dénasalisation. Dans ce type de mots, et seulement en syllabe ouverte, le son [õ] a perdu son caractère nasal pour devenir [ǫ]. On aurait dû alors supprimer le premier –n, mais le conservatisme a gagné sur l’étymologie en dépit de certaines velléités de normalisation.
En revanche, des mots comme donateur et honorer ne comportent qu’un seul –n du fait de leur caractère savant.


Question 2 :
Est-ce que tous les –o suivis d’une nasale ont abouti à õ ou seulement ceux qui étaient accentués ? Le timbre de départ (ọ < ō ;  ǫ < ŏ, cf. messages précédents) a-t-il joué un rôle ?

Réponse :
Non : la nasalisation est quasiment universelle en français ; j’ai choisi à dessein un étymon où l’on avait un o long accentué et un étymon ou l’on avait un o bref atone, soit une situation à deux oppositions, afin de montrer qu'on a abouti au même résultat.

Comme partout, il y a des exceptions et des variantes, mais celles-ci reçoivent quasiment toutes une explication.


Question 3 :

Le –o est-il seul concerné ?

Réponse :

Non ; nous avons trois autres voyelles nasales, mais leur genèse est plus complexe. Ainsi, dans lāna > laine, aucune nasalisation n'est intervenue alors qu'on trouve la forme ainme < āmat dans certains domaines d'oïl (cf. ma signature !).


Question 4 :

D’autres langues romanes connaissent-elles la nasalisation ?

Réponse

Oui : c'est même une caractéristique du portugais si on le compare au castillan, mais le phénomène s'effectue dans des conditions légèrement différentes de celles du français.

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Re : Histoire et préhistoire du français

Petite question du soir :

Comment sait-on que le le on de honte n'était pas nasalisé avant le milieu du XIIème siècle ?

Réponse :

Grâce aux assonances des chansons de gestes ; ainsi, dans la laisse 36 du Charroi de Nîmes (première moitié du XIIème), les mots suivant assonent :

done/homes/longues/tonnes/conjoingnent/doublent/grocent/honte/goule.

Aucune place pour un son nasal (grocent, goule en témoignent). Ici, l'assonance est en o fermé.

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30 Dernière modification par Lévine (04-05-2019 21:06:03)

Re : Histoire et préhistoire du français

Question :

Pourrait-on évoquer le traitement du i latin ?


Réponse :

Le cas du i bref latin est hors-sujet, puisque, comme nous l’avons dit dans le premier message, son timbre s’est confondu avec celui du e long dès la période impériale.
Reste donc le i long accentué (le cas des voyelles atones n’a pas à être pris de manière différenciée, sauf à l’initiale, cas dont nous parlerons ultérieurement).

Eh bien c’est facile : le i latin accentué, libre ou en entrave, est resté intact en français, comme en témoignent les exemples suivants :

īra > ire ; nīdu(m) > nid ; lībra > livre (f.) ; argīlla > argile ; partīre > partir ; partītu(m) > parti ; īns(ŭ)la > isle > île, etc…

Le traitement des i longs germaniques est le même :

wīsa > guise ; bīsa > bise.


Si le ī est suivi d’une consonne nasale, deux cas sont à envisager :

a) Si la nasale conserve son articulation devant un e sourd, le ī reste intact. Il a pu exister un début de nasalisation du ī, mais l’orthographe n’en a pas laissé de trace, ce qui fait que l’on ne rencontre que les groupes orthographiques –in(e) ou -im(e), au contraire des mots de type honneur.

spīna > épine ; farīna > farine ; līma > lime, etc… 

b) Si la nasale ferme la syllabe, le ī se nasalise et reste nasalisé jusqu’à l’époque moderne. Le résultat est le son noté, mais certains puristes du XVIIème siècle tenaient à ce qu’il fût prononcé de façon plus fermée ([]) afin de le distinguer du ẽ < -ain ou -ein  (dont je n’ai pas encore parlé). On a donc :

*cīnque > cinq ; sīmiu(m) > singe, etc… ;
fīne(m) > fin ; vīnu(m) > vin, etc… .

Cette nasalisation n'a lieu qu'au début du XIIIème siècle. Dans la Chanson de Roland (fin du XIème), pin assone avec vis et se prononçait donc [pi-n] (laisse 176).

C’est encore le cas dans le cycle de Guillaume d’Orange (deuxième moitié du XIIème) : on trouve fin donc [fi-n] et palis dans la laisse 58 du Moniage Guillaume.

En revanche, dans la chanson d’Aspremont (XIIIème), seuls les mots en –in  assonent entre eux (laisse 22), mais il s’agit plus de rimes que d’assonances, et les rimes ne permettent évidemment pas de bien savoir. A cette époque, on devait malgré tout prononcer le nom pin [pẽn] ou [pĩn].

Ce son n’a vraiment perdu son appui consonantique qu’au seuil du XVIème siècle.

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31 Dernière modification par Lévine (31-05-2019 15:18:14)

Re : Histoire et préhistoire du français

LES AVENTURES DU R

Dans les cas les plus fréquents, les r latins et germaniques se sont maintenus en français, bien qu'ils aient sans doute changé de prononciation :

Ex : rēgem > roi, cŏrōnam > couronne, crŭcem > croix, *sortīre > sortir, wĕrra > guerre.

Mais la chute de certaines voyelles atones, phénomène caractéristique du français, a pu parfois entraîner une rencontre de consonnes difficilement prononçable ou sentie comme étrangère à la langue. Dans les cas les plus critiques, une des consonnes est tombée, mais lorsqu’une occlusive s’est trouvée au contact avec une nasale ou d’une liquide, le r s’est alors substitué à la nasale pour rendre le groupe prononçable, les groupes constitués d'une consonne occlusive ou d'une fricative et d'un r étant par ailleurs très fréquents dans la langue :

Ex : pamp(ĭ)num > *pampne > pampre ; ord(ĭ)nem > ordne > ordre ; timp(ă)num > *timbne > timbre.

Ex : epist(ŭ)la > epistle > epître ; apost(ŏ)lum > apostle > apôtre (on trouve aussi apostol(e) en AF, qui est une forme savante non syncopée).

Il est aussi des mots où le r, placé après une voyelle, vient se mettre avant elle pour constituer un groupe consonantique ou il aura la seconde place, comme dans la série précédente.
Cette métathèse s’opère en général assez tardivement, comme on le constate en considérant  la  forme médiévale centrale de chaque série.

Ex : *berbĭcem > berbis > brebis ; *turbŭlare > torbler > troubler ; *formatĭcum > formage (encore chez Molière) > fromage ; *birōtam > berouete > brouette.

Quelquefois notre r n’aime pas entrer en concurrence avec un second r trop proche de lui, il disparaît alors ou s’assimile :

Ex : *berfrīdum > berfroi > beffroi ; heribērga > herberger (en Vendée, une commune a pour nom l’Herbergement) > héberger ; *fŏris-būrgum > forsbourg > faubourg (écrit ainsi par fausse étymologie).

Parfois enfin, il arrive sans crier gare !

Ex : perdĭcem > perdrix ; *derbĭtam > derte > dartre ; *canăpum > chanvre ; rustĭcum > rustre (mais rustaud) ; encaustum(1) > enque > encre ; thesaurum > trésor ; *vitĭc(u)la > veille > ville > vrille.
Son apparition pose ici un problème, car les formes sans r étaient parfaitement prononçables ; dans le cas de dartre, la prononciation s’en trouve même rendue plus difficile. Mais cette tendance, par ailleurs directement opposée à la série précédente, semble en fait la plus fréquente. On trouve même jardrin pour jardin en AF. On allègue souvent des "contaminations" pour expliquer ces mots : vrille d’après virer, rustre à cause de la finale déjà existante dans illustre, existence de verbes courants comme perdre, tordre, mordre... Tout se passe en fait comme si la langue craignait les innovations et s’en remettait à des modèles connus, sinon éprouvés.
Jarry, en créant le mot « merdre » à partir de « merde », ne fait que se conformer à un usage très ancien...

(1) Le latin a gardé l’accentuation du mot grec ἔγκαυστον. Dans ce mot demi-savant, la post-tonique s’est maintenue, et c'est la syllabe finale qui a disparu.

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Re : Histoire et préhistoire du français

Lévine a écrit:

lorsqu’une occlusive s’est trouvée au contact avec une nasale ou d’une liquide, le r s’est alors substitué à la nasale pour rendre le groupe prononçable, les groupes constitués d'une consonne occlusive ou d'une fricative et d'un r étant par ailleurs très fréquents dans la langue :

Ex : pamp(ĭ)num > *pampne > pampre ; ord(ĭ)nem > ordne > ordre ; timp(ă)num > *timbne > timbre.

On rencontre le même phénomène en irlandais, par exemple na mná (les femmes) qui se prononce na mra.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

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Re : Histoire et préhistoire du français

Témoignage précieux, merci ! Il s'agit en fait d'éviter l"assimilation, comme en breton : *an mor > ar mor.

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34 Dernière modification par Alco (03-06-2019 06:37:40)

Re : Histoire et préhistoire du français

Un autre exemple est celui de Londres < Lundinium, tandis que l'anglais et le gallois ont gardé la séquence d-n (respectivement London et Llundain).

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

35 Dernière modification par Lévine (03-06-2019 13:45:49)

Re : Histoire et préhistoire du français

Ces formes expliquent Lud et Londoin que l'on trouve chez Wace.

En français, la chute du i post-tonique a en effet entraîné la rencontre du d et du n. On a la forme Londres dès les premiers romans de Chrétien (dans Cligès, par exemple).

D'autres noms de lieu illustrent ce phénomène : Ling(o)nes > Langres, *Cart(u)nes (pour Carnutes) > Chartres, ce dernier mot illustrant le goût de la langue pour la séquence r+occl.+r. (cf. charte et chartre, bien que les étymons de ces deux mots soient légèrement différents).

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Re : Histoire et préhistoire du français

Question :

Comment le [g] de guise, gant, guerre s’explique-t-il en face des étymons franciques  *wisa, *want, *werra ? 

Réponse :

A l’époque où les mots germaniques ont pénétré dans une partie importante de la Romania, c'est-à-dire au Vème siècle, le [w] latin initial avait pratiquement achevé une évolution qui devait l’amener à [v], après un intermédiaire [β]. Ex : valere > valoir ; via > voie ; vivere > vivre.

Pour les locuteurs natifs, le son [w] était donc devenu un son étranger, y compris dans les mots latins, prononcés comme en « français ».

Ces locuteurs se sont donc efforcés de reproduire ce son tant bien que mal, mais en lui donnant un point d’appui consonantique guttural : on a donc prononcé d’abord [gwize], [gwant], [gwere] les mots *wisa, *want et *werra.

Ce son composé a ensuite suivi le sort du [gw] des mots latins comme lingua > langue : il a perdu sa partie vélaire pour se réduire à [g], d’où les mots modernes.
On a donc eu : *want > gwant > gwant > gan(t).   

On a d'abord écrit gu, y compris devant a, o et u, sans doute par conservatisme au bout d'un certain temps ; ainsi, dans la Chanson de Roland, on trouve toujours écrit guant, guarder, guarnir. Par la suite, le u a été maintenu devant e et i avec une fonction diacritique. 


Question :

Certains dialectes, ou d’autres langues romanes présentent-elles la même situation ?

Réponse :  

Toutes les langues romanes constituées sur des territoires en contact avec des peuples germaniques sont concernées ; c’est ainsi que l’espagnol, le portugais, l’italien, le catalan, l’occitan ont le mot guerra, alors que le roumain l’ignore et emprunte au vieux-slave.
Pour gant, on a guanto, guante, gante, gant (le roumain innove).

En revanche, en Picardie, à l’Est du domaine d’oïl et partiellement en anglo-normand, le w n’est pas passé à g(w). On a les formes vuere à l’Est (où le w a abouti à [v], comme en allemand moderne) et waire au Nord du domaine picard (en Néerlandais et dans le domaine flamand, le [w] est resté intact).


Question :

Mais comment expliquer que vadum ait donné gué, vespa guêpe et viscum gui ? Ces mots ne dérivent-ils pas d’étymons latins ?

Réponse :

Oui, mais ces mots ont un correspondant germanique proche qui a soit contaminé soit supplanté l’étymon latin.

On a ainsi (1) :
•  gâter < anc. fr. guaster « dévaster, piller » < lat. [de]vastare, influence du francique *wôstjan « dévaster, ravager, ruiner ». L'ancien normand a wast « terre dévastée » > inculte, toponymes en -vast et wastine > vatine « mauvaise terre », anc. fr. gast ~ gastine « terrain inculte, inhabité; pillage, ruine » > français gâtine. Dévaster est un emprunt savant au latin classique :
•  gaine < AF guaïne < L vagina, influence du francique *wagi « vase, écuelle » (cf. emprunt savant vagin directement au latin vagina)
•  gué < L vadum, influence du francique *wada (d'où le néerl. wad) ; cf. ancien normand, picard, wallon wei, wez, normand vey ; NB. régional gade « boue » (> gadouille) serait un emprunt au francique
•  guêpe < L vespa, influence du francique *waspa (cf. picard wespe, ancien normand wespe > mod. vêpe; ≠ occitan vèspa; italien vespa; espagnol avispa issus directement du latin)
•  guivre, (Jura, Suisse, Lorraine) vouivre < anc. fr. wivre, guivre « vipère, serpent » < L vipera, influence du francique sur l'initiale cf. vieux haut allemand wipera. Vipère est un emprunt savant.
•  gui < L viscus, influence de *wihsila « griotte » à cause de l'aspect de ses fruits avant maturité (≠ occitan vesc, italien vischio, issus directement du latin.


(1) Références :
Nom de la page : Vieux-francique.
Licence : Contenu soumis à la licence CC-BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.fr).
Source : Article Vieux-francique de Wikipédia en français (http://fr.wikipedia.org/wiki/Vieux-francique).

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Re : Histoire et préhistoire du français

Merci pour cette leçon passionnante.

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

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Re : Histoire et préhistoire du français

Merci, mais "leçon" est un bien grand mot !

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39 Dernière modification par vh (13-07-2019 14:17:18)

Re : Histoire et préhistoire du français

En revanche, en Picardie, à l’Est du domaine d’oïl et partiellement en anglo-normand, le w n’est pas passé à g(w). On a les formes vuere à l’Est (où le w a abouti à [v], comme en allemand moderne) et waire au Nord du domaine picard (en Néerlandais et dans le domaine flamand, le [w] est resté intact).


Le prénom anglais William vient du normand-picard du 11e s. Willaume, pas directement du germanique.
https://www.etymonline.com/search?q=william (en anglais)

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

40 Dernière modification par Lévine (13-07-2019 17:43:59)

Re : Histoire et préhistoire du français

On a un cas comparable de ce transfert en grec moderne (transfert paradoxal puisqu'en l'occurrence, il concerne la même langue) : le mot cinéma(tographe) vient du grec ancien, comme vous le savez. En grec moderne, le mot κινηματογράφος [kinimatoγrafos] existe, mais c'est un mot plutôt savant, et dans le langage courant, on préfère utiliser le mot... σινεμά, sans doute emprunté à l'anglais !
Gageons que de nombreux Grecs doivent ignorer que c'est un mot bien de chez eux qui leur revient ainsi !

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Re : Histoire et préhistoire du français

vh a écrit:

Le prénom anglais William vient du normand-picard du 11e s. Willaume, pas directement du germanique.
https://www.etymonline.com/search?q=william (en anglais)

Je ne suis pas étonné : le germanique moderne a gardé le L avant le M (allemand Wilhelm), alors que le normano-picard et les autres dialectes d'oïl l'ont amuï (comme dans calamus>calmus>chaume ou calida>calda>chaude). L'italien l'a gardé : Guglielmo. L'espagnol et le breton ont préféré le rhotacisme, respectivement Guillermo et Gwilherm.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

42 Dernière modification par vh (13-07-2019 22:43:44)

Re : Histoire et préhistoire du français

Je suppose que le U de Willaume était audible, sous une forme ou une autre, pour justifier la diphtongue dans William qui l’a suivi.

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

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Re : Histoire et préhistoire du français

En fait, dans certains mots, surtout ceux issu du germanique, non seulement le u est resté sensible, mais le l aussi, qui ne s'est donc pas vocalisé sans intermédiaire. C'est ainsi qu'on explique que le -e final d'appui se soit maintenu dans Guillaume, heaume alors qu'il était tombé tout naturellement dans chaud, haut.

*helmu > AF helme > *heu̯lme (le point d'appui vocalique final est nécessaire) > heaume (le -e final persiste bien qu'il n'ait plus de fonction).

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Re : Histoire et préhistoire du français

Lévine a écrit:

   Dans les deux cas suivant, la syllabe est entravée, le ĕ reste intact :
tĕstam > tête
sĕptem > sept

Merci de me renseigner. Je croyais qu'on parlait de syllabe fermée et de voyelle entravée ?

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

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Re : Histoire et préhistoire du français

Vous avez mille fois raison, c'est une bévue.

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Re : Histoire et préhistoire du français

Lévine a écrit:

@ Alco

En vieux prof de lettres classiques, j'ai avant tout pensé à Œdipe, dont le nom est si souvent mal prononcé par les candidats.
Une fois, j'en ai même entendu un dire : "Édipe... non : Eudipe !" lol


Aeternitas latin est devenu éternité en français. ''Ae'' était une diphtongue en latin ?

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

47 Dernière modification par vh (16-07-2019 03:07:56)

Re : Histoire et préhistoire du français

Lévine a écrit:

En vieux prof de lettres classiques, j'ai avant tout pensé à Œdipe, dont le nom est si souvent mal prononcé par les candidats.
Une fois, j'en ai même entendu un dire : "Édipe... non : Eudipe !"

C’est complexe. roll

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

48 Dernière modification par Lévine (16-07-2019 08:38:50)

Re : Histoire et préhistoire du français

ae , correspondant grec de αι, tend à se réduire au son unique ę (è), parfois ẹ (é) dès la fin du second siècle av. J.-C. en latin vulgaire. Cette réduction se généralisera peu après en dépit de la réaction de puristes comme Varron.
En philologie romane, le ae est toujours traité comme le ę ou le ẹ :
caelum [kęlum] > ciel comme pędem > pied,
praeda [prẹda] > proie comme tẹla > toile.

J'ai expliqué ces transformations dans les premiers messages.

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49 Dernière modification par chrisor (16-07-2019 10:10:05)

Re : Histoire et préhistoire du français

...

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

50 Dernière modification par chrisor (16-07-2019 10:37:10)

Re : Histoire et préhistoire du français

Peut-on dire que la syllabe fermée qui comporte une voyelle entravée est celle qui varie le moins au cours de l'évolution latin-français ?  Si c'est le cas ce constat est en faveur d'une certaine invariance des syllabes fermées, non ?

Selon ma théorie l'évolution phonétique se réalise aussi parce qu'elle est compatible avec une évolution sémantique.
Le son [wa] français ''oi'' est un émotème qui marque l'admiration ou la crainte (wouah !): le roi, la loi mais chacune des deux voyelles se ''conjuguent " ou se "factorisent" avec la consonne qui suit :

  pĭlum > "poil" Au codon ''il'' du ''lien, filament'' petit (p) le français précise qu'il est arrondi (ol). Peut-être peut-on admettre une certaine crainte de l'individu à qui est adressée l'invective : "à poil'', ou celui qu'on menace de lui  "tomber sur le poil" et reconnaître une certaine admiration  dans l'expression ''au poil'' pour exprimer la perfection.

   sēro (ou sērum) > "soir" . Le ''o" de sēro qui représente le cercle ou une image ronde peut désigner le soleil qui ''ferme'' à la surface de la terre (s) alors que soir évoque une réflexion(ir) lumineuse (or) superficielle (s) rejoignant ainsi sémantiquement d'autres mots tel noir (réflexion lumineuse anéantie) qui dérive du latin niger évoquant un dangereux passage dans le néant ou tel voir (réflexion lumineuse dans le champ visuel). La crainte est évidente pour noir (la peur du noir est très fréquente chez l'enfant). Cette évolution sémantique a sans doute permis l'extension en France du mot norht puis nord, un emprunt germanique apparu en Normandie dérivé du vieil angl. norpb attesté depuis le  IX éme siècle : nord onde (od) lumineuse (or) anéantie ou nulle (n).

Il existe certes une évolution phonétique mais pour les mots présentés on remarque plutôt  un enrichissement sémantique évolutif. Si l'on peut symboliquement accepter une dispersion des langues évoquée par le mythe de Babel, c'est utopique de retrouver une langue originelle que certains recherchent à partir de l'hébreu, une langue archaïque, mais il s'agit plutôt de retrouver la structure non arbitraire des mots de nos langues évoluées qui ont emmagasiné le savoir de l'inconscient collectif langagier de nombreuses générations.

La langue est un système l'affirme Saussure qui l'entendait d'un point de vue phonétique différenciateur mais c'est aussi un système sémantique. La réflexion lumineuse (ir-or de oir) s'est ainsi inscrite dans miroir : réflexion lumineuse qui réfléchit m (personne, matière ou onde). Ce mot s'accorde sémantiquement avec mirage: passage  de la réflexion de l'onde (lumineuse).

Mais ce serait un miracle (suppression de la fermeture de la réflexion de la personne) si vous acceptiez de redevenir de petits enfants avant d'avoir subi les trois refoulements syllabique, sémantique et tonique lors de l'acquisition de votre langue maternelle.

Ces considérations ne m'empêchent pas de vous féliciter pour votre début de ''Cours"" sur l'histoire et la préhistoire phonétique du français". Merci pour vos explications savantes.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

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