Une remarque cependant et je ne sais si elle vous intéressera.
Les adjectifs épithètes en français peuvent se trouver, soit avant le nom, soit après.
Selon leur position ils peuvent être classés comme concrets ou subjectifs, voire abstraits.
Prenons par exemple l’expression de mes blanches mains : de façon inattendue l’adjectif de couleur est placé avant le nom, lui donnant tout à coup une valeur morale : ici blanches signifie pures. Oui mais… nous disons justement des mains pures et non de pures mains, énoncé étonnant certes, mais au fond possible. Pour mieux sentir la nuance, avançons l’expression : c’est un pur esprit qui ne signifie pas que la personne a un esprit pur, c'est-à-dire exempt de toute souillure. Lorsqu’on pose pur avant esprit on veut dire que la personne ne vit que par son esprit, non par son corps. Là encore, comme pour blanches, pures antéposé prend une valeur non descriptive mais morale, voire métaphorique.
Prenons cette fois le problème par l’autre bout : est-ce que placer l’adjectif à gauche du nom serait lui donner une valeur subjective ?
On constate en effet, que certains adjectifs ne peuvent jamais se placer avant le nom : on dira toujours un homme robuste, un enfant malade, un objet rond. Ces adjectifs qualifiant une réalité ne peuvent donc pas être utilisés pour rendre compte d’une subjectivité du locuteur.
Il est intéressant de constater que les participes passés ne peuvent se placer qu’après le nom : une fenêtre ouverte, un lit défait, une personne intéressée…Le participe passé prenant en compte le résultat d’une action ne pourrait donc lui non plus, prendre de valeur subjective ou abstaite. Sur le plan syntaxique, il est un raccourci de l’expansion nominale caractérisante : on pourrait développer en écrivant : qui est ouverte, qui est défait, qui est intéressée.
Qu’en est-il des adjectifs dits verbaux en –ant ? On dira une erreur courante et jamais une courante erreur. Oui mais on peut dire aussi bien une charmante personne que une personne charmante, un talent étonnant que un étonnant talent. On voit bien que les choses fonctionnent différemment ici : l’adjectif verbal ne rend pas compte d’un résultat, comme c’est le cas du participe passé, mais plutôt d’un processus. Par conséquent il est apparemment apte à traduire une valeur subjective. Et pour ce qui concerne courante, son sens, qui s’est d’ailleurs largement écarté de celui du verbe courir, implique un constat. En revanche, on peut déplorer d’humiliantes erreurs comme d’amères pensées, on peut se laisser glisser dans de charmantes rêveries ou encore de noires appréhensions.
Que se passe-t-il avec des adjectifs désignant normalement une qualité physique lorsqu’on les met à la gauche du nom ?
Prenons un peu au hasard le mot carré. Une maison carrée ne pourra devenir une carrée maison, la même chose se vérifiera si elle est rectangulaire ou ronde. Impossible de dire un maigre homme. Alors, pourquoi peut-on entendre un gros homme ? la réponse est simple : le fait d’être gros est passible d’un jugement moral, pas la maigreur. Et du reste on voit bien que le mot obèse, qui resté longtemps dans des contextes médicaux, ne s’antépose jamais. Il est impossible de dire une obèse personne. Quand je dis « impossible », je pense évidemment à l’usage courant : tout est possible dès lors qu’on utilise la fonction poétique du langage, bien évidemment.
On commence en général ce type d’analyse par les adjectifs les plus courants, les plus largement employés. Petit, joli, vieux, grand, bon, beau … se placent généralement avant le nom, bien que leur valeur soit généralement descriptive, mais si on les place après, on retrouve le même décalage de point de vue. Comparons par exemple les deux phrases : J’habite une petite maison et J’habite une maison petite. Ou encore C’est une jolie fille et C’est une fille jolie. Et c’est l’inverse qui se produit : on passe cette fois d’un point de vue plus objectif à un point de vue plus personnel ; on redonne du poids, de la densité, à la qualité.
Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha