Perkele a écrit:Dom a écrit:Si l'on veut créer un masculin, il suffit de dire UN sage-femme, puisque le mot «femme» qui compose ce nom de métier désigne la patiente et non le soignant
Alors, là il faut m'expliquer.
Une sage-femme a toujours été pour moi une "femme ayant assez de connaissances pour assister une autre femme dans un accouchement".
Définition du Robert: Personne (femme) qui connaît et pratique les techniques de l'accouchement. Accoucheuse.
On m'a appris qu'il s'agit de quelqu'un qui "sait sur les femmes".
La difficulté lexicale née de l'accession de ce métier aux hommes suscite naturellement des tas d'hypothèses farfelues sur l'étymologie ou le sens du mot de manière à pouvoir se convaincre que "femme" ne désigne point l'accoucheuse mais l'accouchée.
Mais dans "sage-femme", "sage" est seulement adjectif et ne peut pas être un verbe qui pourrait faire un mot composé "verbe+nom" comme dans "porte-feuille" ou "garde-meuble".
On a objecté que si c'était un adjectif, "on devrait plutôt dire femme sage (femme qui sait) sur le modèle de femme savante". C'est oublier complètement l'histoire du mot, dont la formation est attestée depuis le XIIIe siècle, époque où la place de l'adjectif n'était pas nécessairement la même qu'au XVIIe siècle (femme savante). L'adjectif était plus fréquemment qu'aujourd'hui antéposé, ce qui n'empêche d'ailleurs pas qu'on trouve plus tard des formes telles que "femme sage" ou "mère sage" dans ce même sens d'accoucheuse, comme rappelé ici sur ce forum :
- forme attestée en 1212.
- autres variantes: femme sage, sage mère (XVe) mère sage (1609);
- sage au sens de «expert, (habile dans son art)» [idem l'Académie] (1155, saive en ce sens)
On voit que l'adjectif a été, au cours du temps, aussi bien postposé qu'antéposé, avant que l'usage ne le fixe dans la position avancée que nous lui connaissons aujourd'hui (et qui est sa position ancienne) ; il s'agit donc bien d'une "femme sage" et non d'une "sage qui connaît les femmes". "Sage", comme nous le montre Godefroy, y a le sens de "savante, experte, habile".
Dans sa forme ancienne "saive", l'adjectif était le plus usuellement antéposé, comme dans ce passage des sermons de Maurice de Sully :
Il tempte les moines, les chanoines, les hermitans, les reclus, les clerz, les hommes, les femmes, les riches e les povres, por eaus traire à mau. Quar li saives hom e la saive femme sunt ignelement trebuché en peché , e li prodom e la prode femme se deffendent vertuosement.
Intéressant parallèle qui groupe le sage homme, la sage femme, le prudhomme et la prude femme. Bien sûr, sage femme a ici son sens normal, pas celui d'accoucheuse.
Une ancienne attestation de sage femme au sens qui nous intéresse se trouve dans la traduction que fait au XIVe siècle Simon de Hesdin des Facta et dicta memorabilia de Valère Maxime. Il écrit à propos de Socrate :
ot une mere qui avoit nom Phaenarete, laquele estoit sage femme.
Glose: Sage femme a Paris est dicte la femme qui reçoit les enfans, quant les femmes travaillent, et en notre pays on la nomme mere aleresse, pour ce que elle va par tout
de maison en maison.
Dans ce même texte, on trouve de nombreuses occurrences de sage et il est toujours antéposé, selon l'usage ancien :
sages hommes, c’ on appelloit Mages;[...]
Mais je croy pour voir que, quelx gens que ce fussent, c’ estoient moult sages hommes, et puet bien estre qu’ il estoient astronomien, et qu’ il savoient aucunes ars, que les autres ne savoient pas [...]
Ceste chose donna grant souspecon a un sage et noble homme, qui avoit a nom Hostan [...]
les Atheniens firent leur duc de un vaillant et sage homme, qui avoit nom Conon, [...]
il prist une moult vaillant, sage et noble femme, qui avoit a nom Tanaquil [...]
Ainsi, cette petite excursion dans les textes anciens nous donne un nouveau synonyme de sage-femme mère allerresse. En voici un autre, ventrière. Ce dernier aurait l'avantage de se mettre très facilement au masculin : le ventrier ! On peut lire ici, en prime, l'histoire de Perrette, ventrière jurée à Paris en 1408.
Si l'on voulait dire sage homme, on retrouverait une forme ancienne consacrée. On appelait jadis sage homme ou sage hom un jurisconsulte. Puisque ce sens est abandonné, le mot est libre pour l'accoucheur, si besoin est.