Réponse à oliglesias
Je peux me laisser convaincre par ce qu'on peut lire en submorphémie, je peux me laisser convaincre assez facilement même sur l'origine onomatopéique de certaines séquences phonétiques du français et qu'on retrouve plus ou moins à l'identique dans d'autres langues et sur leur "sens" primaire. Mais vous aurez toujours un mal fou à me convaincre sur le côté systématique. Et franchement, je ne crois vraiment pas qu'il s'agisse là d'un conditionnement culturel.
Les ''jeunes" linguistes français, oliglesias, s'intéressent surtout à la submorphémie lexicale de l'anglais, jamais du français ce qui est un argument supplémentaire vérifiant une résistance liée aux trois refoulements subis lors de l'acquisition de leur langue maternelle. Leurs recherches submorphémiques lexicales sont jusqu'alors restrictives car elles ne s'intéressent qu'à l'initiale des mots anglais à la recherche d'une invariance notionnelle. Pourquoi ?
Suite à l'évocation du codon inconscient ''cr'' en français qui possède les deux sens de mort/ casse et ligne cassée, brisée quelle que soit sa position dans le mot (qui résulte d'une recherche submorphémique généralisée en français), il est intéressant de comparer ces sens à ceux mis en évidence par un éminent linguiste, Jean-Marc Chadelat, spécialiste de l'oeuvre de Shakespeare, qui a publié un article sur le symbolisme phonétique à l’initiale des mots anglais avec l’exemple du marqueur sub-lexical <Cr-> (http://journals.openedition.org/lexis/711) qui mérite d'être lu pour sa clarté. L’hypothèse de sa recherche est que, " s’il existe un lien autre qu’aléatoire entre les onomatopées et les idéophones, cette corrélation ne saurait avoir d’autre direction que du son vers le sens, c’est-à-dire des onomatopées vers les idéophones".
Comme je l'ai maintes fois écrit, les onomatopées ont fourni les briques submorphémiques pour construire notre langue et ainsi ''crac'' est la source sonore de deux briques que je nomme codons (onde sonore od coupée c, séquence d'onde) : ac et cr. L'inconscient onomaturge, à partir de cette onomatopée imitative du bruit d'un référent qui cassait, a retenu pour le codon ac qui porte le sens le plus général de cette onomatopée (que l'on retrouve dans clac, flic flac), le sensi d'action alors que cr porte les deux sens spécifiques déjà énoncés. Le découpage de la chaîne signifiante de l'onomatopée imitative que l'on peut qualifier de mimophone conscient a généré deux codons qui sont des idéophones inconscients, des séquences submorphémiques, des signes linguistiques à deux faces signifiante et signifiée. Voilà les véritables monèmes ! C'est ainsi que l'inconscient construit tous nos mots avec en premier la séquence signifiante qui, pour la conscience, termine le mot ( morphème pour être précis) et en dernier ce qui apparait à l'initiale du mot (morphème).
La loi d'économie linguistique des partisans au moindre effort élocutoire nous incite à pratiquer l'apocope et le cinématographe se voit coupé en cinéma puis réduit en ciné comme le professeur, qui ne donne plus de fessée (!), se trouve ''castré'' en prof. Le début des morphèmes, la séquence initiale, porte donc toujours la partie sémantique la plus spécifique ce qui est évident dans les mots composés allemands (Apfelbaum, l'arbre à pommes et le pommier en français avec la notion de propagation par alternance portée par les codons ie et ir)
Quant au prof le codon pr est celui de la saisie intellectuelle (apprendre, comprendre, appréhender...) et quant au ciné le c de la communication/communion.
Mais revenons à Jean-Marc Chadelat et son étude sur la submorphémie lexicale à l'initiale des mots anglais. Au début de l'article il précrise : "Les onomatopées primaires ou acoustiques jouissent d’une prééminence s’expliquant par le fait qu’elles manifestent une forme de création lexicale absolue ne s’appuyant sur aucun mot préexistant. Cette primauté lexicogénétique est aussi primat dans le temps, ce qui justifie d’envisager l’étude des formations onomatopéiques dans une perspective génétique). " Je partage cette analyse, le seul problème est de retrouver l'onomatopée dite primaire ou proto-onomatopée.
Quant au sens qu’il décèle pour le couple consonantique ‘’cr’’ à l’initiale des mots anglais Chadelat évoque l'un des sens que j'ai énoncé : « N’est-il pas du domaine de l’expérience courante qu’un objet dur et cassant soumis à un choc émette un bruit sec en se brisant ou se fissurant ? Si l’on admet la logique de cette séquence d’événements, il ne reste plus qu’à supposer la possibilité d’une forme de causalité ou de codification de l’ordre extra-linguistique à l’ordre linguistique pour formuler l’hypothèse d’un transfert notionnel des onomatopées aux idéophones par le biais d’une analogie sensorielle entre la dimension sonore des référents onomatopéiques et la dimension visuelle des référents idéophoniques. »
Le corpus des mots anglais étudiés lui font dégager une première invariance notionnelle : « non-rectiligne » La poursuite de son analyse lui font évoquer le trait notionnel de ligne brisée, de surface fragmentée, de brisure telle les dentelures d’une feuille ou les irrégularités de la crête d’une montagne ou des gallinacés. Il en dégage la notion de ‘’frangibilité ‘’ , de fragilité et aussi de curvilinéarité du référent dont le nom et initié par ‘’cr’’.
A ce premier sens de ligne brisée il met en évidence dans d’autres mots la notion de séparation avec la racine *kri- « séparer » (comme κρισις « décision, jugement »), qui a surtout servi en grec à former des mots dont le symbolisme disjonctif est abstrait comparé à celui des mots latins plus concrets dérivés de la racine *cri- de cerner. « La base cerno dont crimen est un dérivé a d’ailleurs les sens suivants dans l’ordre d’antériorité : au propre, « séparer en agitant, trier », ce qui peut laisser supposer que le verbe a d’abord désigné une forme de séparation par criblage (à l’appui de cette supposition, citons l’anglais riddle « passer au crible » qui est une forme apparentée) ; au figuré, « distinguer entre plusieurs objets, voir » et « choisir entre plusieurs solutions, décider ».Le sens primaire de crime ou de critic « séparer, trier » est d’autant plus susceptible d’être oblitéré que le sens dérivé et métaphorique de ces mots est éloigné du terreau concret sur lequel le premier a fleuri.
« Il est à peu près certain que l’étymologie n’apporte pas la preuve d’une langue originelle où les mots exprimeraient « l’essence » des choses, mais elle n’en contribue pas moins à montrer que la signification des mots a une histoire qui est loin d’être le seul fruit du hasard »
La limitation d'une recherche sémantique submorphémique aux deux premières consonnes des mots en oubliant le reste de la chaîne signifiante explique les difficultés de J.M. Chadelat à mieux préciser les notions, qui lui paraissent oblitérées et à être contraint de chercher comme sources de la sémiogénèse une métaphorisation linguistique qu'il ajoute à l' invariance symbolique.
La recherche submorphémique n’en est qu’à ses balbutiements, ceux que j’ai connus en 1995. Malgré toutes les criques déversées contre ma théorie exposée depuis 5 ans mon mode d’analyse s'avère beaucoup plus simple. Ce que ne pouvait comprendre J.M Chadelat c’est qu’il n’existe pas une motivation localisée à l’initiale des mots mais qu’elle concerne l’ensemble de la chaîne signifiante transformant ainsi le mot en petite phrase. C’est sans doute la raison qui explique que si nous sommes d’accord sur la notion de ligne brisée il n’a pu découvrir comme second sens que la notion de séparation malgré un corpus de mots étudiés analogues au français tels crime, crémation, crépuscule ou crime pour lesquels il n’évoque jamais la notion de mort, une séparation définitive qui est évidente lorsqu’on décrypte toute la chaîne signifiante.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !