Compas direct
Le compas direct est une variation de la méringue, créée par des musiciens populaires, comme le suggère Belmondo Ndengué (1986, 80) qui a écrit « Nemours, lui, définit le compas direct comme une dérivation des airs que jouaient les soldats en parades aux champs de mars. » Dans une entrevue accordée à Dominique Janvier et Jacky Sajous à Radio W.F.U.V. FM, à New-York en juillet 1980, Nemours Jean-Baptiste avait déclaré que toutes les partitions de l'ensemble Atomique venaient de Cuba. Avec la création de Conjunto International, l'accès aux partitions n'était pas facile. Plus loin, il disait qu'il écoutait beaucoup les revues militaires. Ça pique ça pique sur les tropiques tirée de la musique Le Pont de la rivière Kwit (Croyte) ; il exploitait le passage de la basse, qui allait lui inspirer le rythme compas direct. Il n'y mettait des notes accidentelles pour éviter des pa gaye, Il restait seulement sur deux notes simples : la première un-deux, un-deux et la dernière un-deux, un-deux. Le tambour était appuyé par le gong qui servait comme un support. Toujours selon Nemours, un jour Guy Durosier était venu le voir, il disait : « Mayestro monchè gen anpil moun k ap kritike rit ou a ki di se rit dominiken, se pa vre » [Monsieur le le Maestro, beaucoup de critiques disent que le compas est un rythme dominicain, ce n'est pas vrai] Nemours lui répondit : « Depi Guy Durosier di yon bagay se fini » [quand Guy Durosier fait une remarque, elle est donc valable]. Pour conclure, Nemours disait que le rythme n'était pas étranger, mais qu'il était purement haïtien.
Selon Frantz Dénizard, Nemours a permis à Haïti de retrouver sa méringue déjà adoptée par la République Dominicaine sous le nom de meringue, Selon lui, Nemours a changé le style tambour en se basant sur la musique Le Pont de la rivière Kwit (Croyte), jouée par les soldats en parades, en ajoutant un accent sur la contrebasse et le tambour. C'est ainsi que fut créé le compas direct.
Thony Louis-Charles a apporté un autre son de cloche en ce qui a trait à 'origine du compas direct. Il raconte ce qui suit : en 1955, le grand maestro Nemours Jean-Baptiste avait constaté un grand vide musical en Haïti. Il s'était alors rendu à Saut-d'Eau où il observa attentivement le petit orchestre Anba tonèl. Cette observation lui fit venir l'idée d'identité culturelle. Il décida de travailler dans ce sens et suggéra à son ami Wébert Sicot d'en faire autant. Cela donna naissance au Conjunto International qui respectait à la lettre le rythme des troubadours qui existaient dans notre folklore.
Julien Paul rapporte que Nemours Jean-Baptiste, après avoir essayé tous les rythmes, a conservé le compas direct qui représentait la tendance dansante un-deux de la jeunesse, le pas rale bourèt. Kretzer Duroseau, le tambourineur de Nemours Jean-Baptiste, continue Julien Paul, ne pouvant frapper le tambour sur un rythme spécifique, est tombé à la fin, comme par hasard, sur un rythme qui n'était autre que le un-deux du meringue de la République Dominicaine mais plus lent. Julien Paul conclut qu'au cours d'une répétition, un fanatique connu sous le nom de Gros Nènè s'exclama : « Ko manman gade yon konpa ! » (mon Dieu quel Compas), et Nemours Jean-Baptiste lui répond : « Konpa a dirèk » (Ce Compas est direct). On était en 1958. le compas direct a ainsi vu le jour.
Pourtant, Raymond Gaspard, ancien guitariste de Nemours Jean-Baptiste, dans une interview accordée à la Radio Métropole, le 22 mai 1985, a soutenu ce qui suit : en 1958, après le retour de New York du maestro Nemours Jean-Baptiste, on répétait à Bizoton la musique Yasse. Au cours d'un passage dit yasse (alors que Julien Paul exécutait Coda), je m'exclame :«Saa se yon konpa dirèk H ye » (ceci est un compas direct). Content, le maestro s'approprie le terme.
Quelle que soit son origine, le compas représente, aux dires de Frantz Denizard, une sorte de déhanchement qui existait depuis bien longtemps. Selon Issa El Saieh, le compas direct est une dérivation du rythme mangouline qu'on avait retrouvé en République Dominicaine. Selon Julien Paul, pour sa part, le rythme mangouline faisait partie de notre folklore. On avait retrouvé ce rythme dans les petits orchestres Anba tonèl dans nos villes de province.
Doré Guichard (Le Nouvelliste, 1995, 10) estime que le compas direct est l'expression créatrice des classes moyennes qui, se sentant blessées en dansant les rythmes Pétro, Nago, Ibo et Rada, et ne pouvant non plus danser la musique classique qu'appréciait l'élite bourgeoise, se trouvaient dans une situation perplexe où elles devaient inventer, créer un espace musical susceptible d'assurer leur épanouissement. Dans ces circonstances, la naissance du compas direct en 1958 était historiquement justifiée, culturellement recherchée.
(Trente ans de musique populaire haïtienne – Jean Sylvio Jean-Pierre, 2002 – pp. 27-29)