C'est plutôt le postulat moderne (XIXe s. et suivants) qui suit aussitôt : le fait roman ne doit pas être très antérieur à ces deux dates.
Banniard ne dit pas autre chose en antidatant avec parcimonie.
Il situe la la naissance du fait roman en Gaule d'Oïl entre 13 et 92 ans avant les deux dates.
Même pas cent ans, ça fait maigre.
Comment une langue-bébé d'aussi basse extraction a-t-elle pu s'imposer si rapidement aux puissants de l'époque ?
Et comment se fait-il que c'est en créole que Bonaparte, en 1802, fait rédiger son adresse aux habitants de Saint-Domingue ?
En 1802, le créole n'était-il pas une langue-bébé de basse extraction, parlée par les esclaves et les trente-deux mois ? La présence française en Haïti date de la première moitié du XVII e siècle, 1635 pour les iles soeurs, Martinique et Guadeloupe. En un siècle et demie, chiffres ronds, le créole est né et s'est imposé comme langue vernaculaire.
Je prends comme repère la proclamation de Bonaparte, car c'est amusant de voir en Napoléon, qui a rétabli l'esclavage, un des premiers auteurs créolophones ! Même s'il y a gros à parier que ce n'est pas lui le rédacteur du texte.
Cette langu-bébé s'est imposée aux puissants, comme tu dis, pour la simple et bonne raison qu'elle leur était indispensable pour donner leurs ordres, ne serait-ce que le fameux : Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit. Les puissants parlaient créole à leurs esclaves et le parlaient entre eux, ne sortant le fwansé d'Fwans que dans les grandes occasions : correspondance officielles, entrevues avec le Gouverneur, entretiens avec les officiers, actes notariés, que sais-je.
Si le concile de Tours préconise l'emploi de langue rustique (autant dire la langue des ploucs, des paysans...), cela implique que les clercs parlent déjà cette langue : il ne s'agit que d'en introduire l'usage dans la liturgie. C'est comme le créole : tout le monde le parle, car tout le monde en a besoin...
Resterait à décider à quel moment les locuteurs créoles, pardon, romans, ont pris conscience que leur langue était différente de la langue des clercs. Ce sont là des choses impossibles à dater. 813 n'est que le constat de décès du latin vernaculaire, constat qui ne peut avoir été immédiat.
Le créole est né de la necessité d'intercommunication de groupes disparates : les esclaves, venus d'Afrique, mais soigneusement dispersés : les propriétaires veillaient à ne pas constituer contre eux des blocs de gens d'origine commune ; les propriétaires, des gens scolarisés ; les trente-six mois, illettrés et venant de diverses provinces : Normandie, Bretagne, Poitou principalement.
Ces gens ont donc créé la langue véhiculaire qui permettrait aux esclaves d'échanger, aux Blancs de comprendre les esclaves. Ce processus ne pouvait qu'être rapide même s'il est impossible à dater précisément.
En 813 le royaume de Charlemagne regroupe des populations d'origine et de langues variées. Ces peuples ont une langue commune, le latin, appris à l'oreille par le biais de la liturgie chrétienne. Le brassage leur fait créer une langue de communication, différente du latin mais teintée de latin.
C'est ainsi que je vois les choses, sans aucune preuve bien entendu.
Le raisonnement par analogie a ses limites mais il me semble que le rapprochement avec le créole est très éclairant concernant le mécanisme de naissance d'une langue. On dit bien que le français est un créole du latin...
... ne supra crepidam sutor iudicaret. Pline l'Ancien