Transcription sur 4'12''.
Michel Serres a écrit:« Je voudrais d'abord dire que je ne suis pas du tout linguiste. Je ne connais rien à la linguistique et c'est sans doute pourquoi Pierre Léna m'a demandé de parler des mots, de la langue, et d'essayer de répondre à ces multiples questions : quelle langue parlons nous ? quelle langue parlent les scientifiques ? quelle langue parlent les divers spécialistes ? quelle langue parlent les littéraires ? quelle langue parlent nos élèves ? quelle langue parlent les maîtres ? — bref, des questions qui concernent la manière de parler. D'abord je ne suis pas linguiste et il faut que j'avoue que le français, celui que j'utilise maintenant, est ma seconde langue, puisque lorsque j'étais jeune j'ai été nourri en gascon, c'est-à-dire dans un patois d'Occitanie, et que cette langue régionale — car je vais beaucoup parler de langues régionales — que cette langue régionale est morte (ou à peu près) malgré tous les essais de la faire renaître, et que la question qui est posée à la mort d'une langue régionale est très simple : pourquoi et comment est-elle morte ? — puisque j'ai assisté à cette mort-là. Alors d'abord ya des livres d'histoire qui racontent qu'elle est morte parce que les instituteurs ont obligé les enfants des paysans à parler le français et non pas les dialectes régionaux — ce qui est vantardise ordinaire à nous autres professeurs : nous croyons toujours décider du monde entier ; ce n'est pas évidemment vrai qu'elle est morte de là. Je crois qu'elle est morte en partie parce que la paysannerie a disparu en nombre et que, à mesure que la paysannerie disparaissait, disparaissaient en même temps les langues régionales, mais que la vraie raison n'est pas celle-là. Que la vraie raison, c'est que, une langue disparaît lorsqu'elle ne peut pas tout dire ; et que cette question se pose aujourd'hui pour nous, dans le français et dans les langues — ou les réponses à la question que j'ai à poser : en quelle langue parlons-nous ? Et en effet, nous nous sommes mis à parler la langue d'oïl, ou le français, simplement parce qu'on ne pouvait pas dire ni <nucléotide> ni <octaèdre> en langue d'oc. Dès lors qu'une langue ne peut pas tout dire, elle est virtuellement morte. Et par conséquent j'appellerais langue régionale, non pas une langue attachée à une région — comme la Provence, l'Alsace, la Bretagne etc —, mais une langue qui n'est attachée qu'à une région cognitive. C'est-à-dire celle qui ne parle que d'un endroit, une région du sens, et qui ne peut pas s'exprimer dans une autre région du sens. Une langue régionale, c'est celle-là, et toute la question se pose aujourd'hui de savoir si la langue que nous parlons — la langue française — est devenue une langue régionale. Est-ce que nous pouvons tout dire en français ? Et bien entendu cette question est très urgente puisque pour le moment le français sait dire <nucléotide> et <octaèdre>, mais pour combien de temps ? »
Ouf ! Même si l'introduction paraissait assez prudente, la fin se termine en nimportnawak. Fil rouge du discours : on se demande effectivement en quelle langue Michel Serres s'efforce de s'exprimer... 
Plus sérieusement, de bout en bout Serres confond les concepts : langue et registre de langue, linguistique et sociolinguistique, langue et vocabulaire, néologie spécialisée (lexicologie) et contraction de la base locutive (démolinguistique). En revanche il a tort de distinguer langue (tout court), langue régionale (physique ou mentale), dialecte et patois sans faire l'effort de définir les termes qu'il emploie systématiquement au jugé.
Passage révélateur : celui où il mentionne « une langue qui n'est attachée qu'à une région cognitive » pour redéfinir (au sens "figuré" je suppose) la formulation « langue régionale » qu'il n'a pourtant pas su/pu/voulu définir au sens propre... Dès l'époque de Saussure, l'assimilation de la langue à une nomenclature de mots (ou pire : de choses) a été combattue. Mais ici Serres conçoit la langue comme un ensemble composé d'une suite de domaines sémantiques. Cette conception obscurément dénombrabilo-arithmétisante (on peut tout dire, vous voyez !) est tout aussi erronée que celle rejetée en son temps par Saussure. En gros, Serres pense que la "captation" d'un domaine sémantique (de préférence "scientifique" ? <nucléotide>, <octaèdre>) par une langue ou un groupe de langues peut conduire les langues "exclues" à disparaître.
Toutes les langues peuvent créer, utiliser puis recycler/bannir <nucléotide> et <octaèdre> pourvu que l'usage le veuille. D'ailleurs ces mots grécolatins existent bel et bien en occitan : <nucleotid> et <octaedre> !... 
Mais le clou du spectacle est bien cette affirmation : « Dès lors qu'une langue ne peut pas tout dire, elle est virtuellement morte. » Questions : c'est quoi "tout" ? le "tout" de l'antiquité est-il le "tout" de 2008 ? le "tout" des Seychelles est-il le "tout" de la Russie ? dans la négative, le "tout" serait-il donc relatif ?
Outre que les langues n'ont rien à dire puisque ce sont les locuteurs qui disent des choses en se servant d'elles, j'ai la nette impression que Serres confond langue et lexique. Mais je n'ai pas écouté au-delà des 4'12''. Bon courage au volontaire suivant... 