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forum abclf » Promotion linguistique » Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

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Messages [ 12 ]

1 Dernière modification par Hippocampe (20-08-2008 16:54:11)

Sujet : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Bonjour,

Vous êtes nombreux ici à vous demander quel peut être l'avenir du français. Je vous suggère d'écouter sur ce thème un exposé extrêmement intéressant de Michel Serres et d'en profiter, pour ceux qui ne la connaissent pas encore, pour découvrir Canalacadémie.

http://canalacademie.com/spip.php?article3044

H

2

Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Transcription sur 4'12''.

Michel Serres a écrit:

« Je voudrais d'abord dire que je ne suis pas du tout linguiste. Je ne connais rien à la linguistique et c'est sans doute pourquoi Pierre Léna m'a demandé de parler des mots, de la langue, et d'essayer de répondre à ces multiples questions : quelle langue parlons nous ? quelle langue parlent les scientifiques ? quelle langue parlent les divers spécialistes ? quelle langue parlent les littéraires ? quelle langue parlent nos élèves ? quelle langue parlent les maîtres ? — bref, des questions qui concernent la manière de parler. D'abord je ne suis pas linguiste et il faut que j'avoue que le français, celui que j'utilise maintenant, est ma seconde langue, puisque lorsque j'étais jeune j'ai été nourri en gascon, c'est-à-dire dans un patois d'Occitanie, et que cette langue régionale — car je vais beaucoup parler de langues régionales — que cette langue régionale est morte (ou à peu près) malgré tous les essais de la faire renaître, et que la question qui est posée à la mort d'une langue régionale est très simple : pourquoi et comment est-elle morte ? — puisque j'ai assisté à cette mort-là. Alors d'abord ya des livres d'histoire qui racontent qu'elle est morte parce que les instituteurs ont obligé les enfants des paysans à parler le français et non pas les dialectes régionaux — ce qui est vantardise ordinaire à nous autres professeurs : nous croyons toujours décider du monde entier ; ce n'est pas évidemment vrai qu'elle est morte de là. Je crois qu'elle est morte en partie parce que la paysannerie a disparu en nombre et que, à mesure que la paysannerie disparaissait, disparaissaient en même temps les langues régionales, mais que la vraie raison n'est pas celle-là. Que la vraie raison, c'est que, une langue disparaît lorsqu'elle ne peut pas tout dire ; et que cette question se pose aujourd'hui pour nous, dans le français et dans les langues — ou les réponses à la question que j'ai à poser : en quelle langue parlons-nous ? Et en effet, nous nous sommes mis à parler la langue d'oïl, ou le français, simplement parce qu'on ne pouvait pas dire ni <nucléotide> ni <octaèdre> en langue d'oc. Dès lors qu'une langue ne peut pas tout dire, elle est virtuellement morte. Et par conséquent j'appellerais langue régionale, non pas une langue attachée à une région — comme la Provence, l'Alsace, la Bretagne etc —, mais une langue qui n'est attachée qu'à une région cognitive. C'est-à-dire celle qui ne parle que d'un endroit, une région du sens, et qui ne peut pas s'exprimer dans une autre région du sens. Une langue régionale, c'est celle-là, et toute la question se pose aujourd'hui de savoir si la langue que nous parlons — la langue française — est devenue une langue régionale. Est-ce que nous pouvons tout dire en français ? Et bien entendu cette question est très urgente puisque pour le moment le français sait dire <nucléotide> et <octaèdre>, mais pour combien de temps ? »

Ouf ! Même si l'introduction paraissait assez prudente, la fin se termine en nimportnawak. Fil rouge du discours : on se demande effectivement en quelle langue Michel Serres s'efforce de s'exprimer... tongue

Plus sérieusement, de bout en bout Serres confond les concepts : langue et registre de langue, linguistique et sociolinguistique, langue et vocabulaire, néologie spécialisée (lexicologie) et contraction de la base locutive (démolinguistique). En revanche il a tort de distinguer langue (tout court), langue régionale (physique ou mentale), dialecte et patois sans faire l'effort de définir les termes qu'il emploie systématiquement au jugé.

Passage révélateur : celui où il mentionne « une langue qui n'est attachée qu'à une région cognitive » pour redéfinir (au sens "figuré" je suppose) la formulation « langue régionale » qu'il n'a pourtant pas su/pu/voulu définir au sens propre... Dès l'époque de Saussure, l'assimilation de la langue à une nomenclature de mots (ou pire : de choses) a été combattue. Mais ici Serres conçoit la langue comme un ensemble composé d'une suite de domaines sémantiques. Cette conception obscurément dénombrabilo-arithmétisante (on peut tout dire, vous voyez !) est tout aussi erronée que celle rejetée en son temps par Saussure. En gros, Serres pense que la "captation" d'un domaine sémantique (de préférence "scientifique" ? <nucléotide>, <octaèdre>) par une langue ou un groupe de langues peut conduire les langues "exclues" à disparaître.

Toutes les langues peuvent créer, utiliser puis recycler/bannir <nucléotide> et <octaèdre> pourvu que l'usage le veuille. D'ailleurs ces mots grécolatins existent bel et bien en occitan : <nucleotid> et <octaedre> !... big_smile

Mais le clou du spectacle est bien cette affirmation : « Dès lors qu'une langue ne peut pas tout dire, elle est virtuellement morte. » Questions : c'est quoi "tout" ? le "tout" de l'antiquité est-il le "tout" de 2008 ? le "tout" des Seychelles est-il le "tout" de la Russie ? dans la négative, le "tout" serait-il donc relatif ? 

Outre que les langues n'ont rien à dire puisque ce sont les locuteurs qui disent des choses en se servant d'elles, j'ai la nette impression que Serres confond langue et lexique. Mais je n'ai pas écouté au-delà des 4'12''. Bon courage au volontaire suivant... smile

Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Je viens de lire récemment De la langue française, de Henri Meschonnic. Pas trop facile à lire, d’ailleurs, mais intéressant. Il y démonte avec beaucoup de passion le mythe du génie de la langue française, langue de la clarté. Serres, à l’instar de pas mal d’autres auteurs d’ailleurs, en prend pas mal pour son grade. Il semble, cela dit, qu’il éprouve à l’égard du français la même nostalgie (« Originalement, notre langue recommande la prose abstraite, vive et claire, où la spéculation se fond dans la narration, indissociablement ») que celle qu’il évoque pour la langue d’oc dans le passage courageusement retranscrit par Greg.
   Lequel Greg dit une chose qu’on ne répétera jamais assez : ce n’est pas une langue qui parle, ce sont ses locuteurs ! Dans la mesure où elle est vivante, n’importe quelle langue a toutes possibilités pour se renouveler. Le breton a bien été capable d’inventer pellgomzer pour désigner ce que toutes les langues du monde appellent plus ou moins [telefon] ! La diffusion du français n’est pas liée à une prétendue supériorité de cette langue sur ses voisines, mais à la diffusion des œuvres et travaux de ses locuteurs (artistes, scientifiques, humanitaires ou ce qu’on voudra). Quand le monde entier boira du Haut-Brion plutôt que du Coca, le monde entier parlera français ! lol

Au-delà du lit de lait de l'Aude élue, un énorme orme étendait sa sombre ombre.

Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Le breton, où plutôt les néo-bretonnants ont effectivement crée le mot "pellgomzer" qui, en fait, signifie "celui qui parle de loin", mais les bretonnants disaient déjà " an telefon" et "telefoni" pour téléphoner, suivant en cela l'usage international...
Imaginez les français disant "loin-parleur" et "loin-parler"... Même l'espéranto ne dit pas "malproximparoli / malproximparolilo" mais bien "telefono / telefoni"...

DEFENSE DE CRACHER PAR TERRE ET DE PARLER BRETON. (Le Ministère de l'Éducation Nationale)

5 Dernière modification par greg (22-08-2008 01:23:50)

Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

patoiglob a écrit:

Imaginez les français disant "loin-parleur" et "loin-parler"... Même l'espéranto ne dit pas "malproximparoli / malproximparolilo" mais bien "telefono / telefoni"...

Mais c'est pourtant ce que font les germanophones avec le germanique Fernsprecher, soit "Loinparleur", calqué (?) sur le grécisant Telefon. Ils disent aussi telefonieren pour téléphoner, anrufen pour appeler ou passer un coup de fil, et je crois que fernsprechen = "loinparler" s'utilise aussi.

Ils font pareil avec avec fernsehen, soit "loinvoir", qui ne signifie pas voir loin mais regarder la télé, puisque le "Loinvoir" = Fernsehen, avec majuscule siouplaît, c'est la téloche. D'ailleurs les Allemands ne disent pas je "loinvois", soit ich fernsehe, mais je vois loin = ich sehe fern pour je regarde la télé.

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Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Ces mots techniques existent dès que le besoin s’en fait sentir, et la capacité de l’allemand à créer des mots composés m’enchante. Toutefois, on constate que le système sait aussi s’adapter, ou bien connaît ses exceptions, souvent en empruntant à l’étranger …

     Ainsi, dans mon Bertaux – Lepointe (Hachette, 1941), on trouve Fernsprecher = "téléphone", et encore drahtloser Fernsprecher = "téléphone sans fil, radiotéléphone" [sic !], mais aussi Telephon = "téléphone", telephonieren = "téléphoner" à côté de Telephonanruf = "conversation téléphonique" ; on y trouve quelques autres dont fernsprechen = "téléphoner", mais pas de anrufen (qui a seulement ses sens classiques => "appeler, héler, interpeller" …) ni de Telephonie mais Fernsprechwese = "téléphonie". Les entrées sont à Telephon- (et non Telefon-).

     Dans le Clédière - Rocher (Larousse, 1976), on retrouve les mêmes, avec l’adjonction de anrufen = "appeler au téléphone" ; telefonieren est conservé mais fernsprechen a disparu. Les entrées sont à Telefon-.

     Dans le Larousse 2000 (sans noms d’auteurs), peu de changements par rapport à 1976, sauf que le drahtloser Telephon a laissé la place au schnurloses Telefon ou Mobiltelefon. Telefonieren et anrufen sont définitivement installés, l’un intransitif et l’autre transitif.

elle est pas belle, la vie ?

Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Lequel Greg dit une chose qu’on ne répétera jamais assez : ce n’est pas une langue qui parle, ce sont ses locuteurs ! Dans la mesure où elle est vivante, n’importe quelle langue a toutes possibilités pour se renouveler. Le breton a bien été capable d’inventer pellgomzer pour désigner ce que toutes les langues du monde appellent plus ou moins [telefon] !
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Pareil en arménien
Téléphone herakhos, hera= loin, khos parole
Ou bien heratsain, tsain = son voix et le verbe heratsainelPour téléphoner on peut aussi dire zangaharel ou zang dal = donner (un coup de) sonnette. Après tout les Wallons disent bien « sonner ».
Et la télévision se dit heroustatsouits, tsouits = montrer
Je suis 100 % d’accord avec Greg et Pascalmarty . Une langue peut toujours créer des néologismes. En fait Michel Serres pose mal le problème lequel n’est pas sémantique mais sociologique. C’est dans la tête du locuteur que cela se passe. Certains considèrent que leur propre langue ne peut pas s’adapter. Ils ne croient plus à leur langue et c’est parce les locuteurs ne croient plus en une langue que cette langue est fichue.
Je me rappelle d’une discussion avec un ami qui me disait que sponsor était intraduisible. Tous les mots que je lui proposais il les rejetait. Le problème n’était pas la langue française le problème était la conviction même de cet ami qu’elle ne pouvait pas s’adapter.

Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Sponsoring (angl.)= parrainage (fran.) = patrocínio (port.)
Sponsor = parraineur = patrocinador ...

DEFENSE DE CRACHER PAR TERRE ET DE PARLER BRETON. (Le Ministère de l'Éducation Nationale)

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Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Notre ami gougueule :

das Telefon ? 96 %
das Telephon ? 4 %

ein Telefon ? 98 %
ein Telephon ? 2 %

Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Michel Serre parle de l'Occitan comme un langue morte !

Qu'il aille dire cela aux 20 000 manifestants de Béziers en mars 2007 et aux habitants du Val d'Aran dont l'oc est langue officielle.

D'autre part, le Gascon n'a jamais était un patois, mais un dialecte de l'ouest de l'Occitanie.
Comme le Provençal  (occitan de l'est) qui est la langue d'écriture de F. Mistral, prix Noble de littérature en 1904.

Il est vrai que dans un pays qui pratique la répression linguistique depuis des siècles, les propos même d'un  philosophe peuvent être étranges dés qu'il est question de langue régionale.

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Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

christian a écrit:

Michel Serre parle de l'Occitan comme un langue morte !

On pourrait imaginer, à sa décharge, que Serres parle de son gascon, celui de son passé. Dit autrement, ce qui hante l'esprit de Serres, ce n'est pas une langue morte, fût-elle un patois, mais plutôt le cadavre de la langue qu'il parlait autrefois. Laquelle, d'ailleurs, n'était pas nécessairement un patois à l'époque de son enfance ou au temps de ses aïeux directs.



christian a écrit:

D'autre part, le Gascon n'a jamais était un patois, mais un dialecte de l'ouest de l'Occitanie.

Le gascon n'a jamais été ni un patois ni un dialecte. C'est une langue, ou plutôt un groupe de langues : les langues gasconnes (c'est-à-dire "le" gascon envisagé avant tout comme un ensemble de variantes), dont "le" béarnais par exemple. 

Le terme patois n'est pas en soi péjoratif ou dégradant, mais il est souvent mal interprété car c'est en réalité un phénomène beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît à première vue. Toute langue peut être patoisée : il suffit pour cela que certaines conditions sociolinguistiques soient réunies, comme par exemple la diglossie. Mais cette condition (comme les autres) n'est ni nécessaire ni suffisante. 

Pour en revenir au gascon, dire que "le" gascon est du patois est aussi saugrenu que prétendre réduire "le" russe à l'un quelconque de ses patois. Cependant, soutenir qu'un patois parlé en Gascogne (ou en Russie) ne saurait appartenir au groupe gascon (ou russe) n'est pas moins aberrant que le cliché précédent.



christian a écrit:

Il est vrai que dans un pays qui pratique la répression linguistique depuis des siècles, les propos même d'un  philosophe peuvent être étranges dés qu'il est question de langue régionale.

Je n'ai pas l'impression que la "terminologie" de Serres soit liée à la répression linguistique (directe ou intériorisée) : je crois qu'elle illustre simplement sa méconnaissance des travaux réalisés par de nombreux linguistes (typologie du contact interlangues, sociologie des zones de contact, sociolinguistique des locuteurs impactés ? patoisants et non-patoisants, etc), ainsi qu'il l'affirmait au début de son intervention.

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Re : Michel Serres : le génie du français n’est pas dans les mots !

Je fais humblement remarquer que sponsor n'est pas un mot anglais.
La preuve, tirée d'un dictionnaire latin en ligne :

spons?r, ?ris, m. : - 1 - répondant, caution, garant. - 2 - (Tertullien.) parrain (d'un néophyte).

On vit donc que le sens de parrain est dérivé du sens premier de caution ou garant, c'est-à-dire celui qui acquitte vos dettes à votre place.
D'où toute une gamme de traductions françaises possibles, y compris d'ailleurs la solution qui consiste à ne pas traduire : il n'y a aucun déshonneur à employer en français des mots latins !

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