Jeu de massacre et monsieur Francis de ...
M. Francis, qui n'est d'ailleurs pas de Croisset, n'est pas content du tout. Il en veut beaucoup à un méchant metteur en scène. Celui-ci lui aurait abîmé sa petite Ciboulette qu'il lui avait confiée pour faire du cinéma. Ah que les hommes de lettres sont donc imprudents avec leurs filles !
Pourtant, M. Francis, qui n'est pas de Croisset, est un homme soigneux et qui n'a que de belles relations. Tout son théâtre en est l'éclatante démonstration.
Si ses pièces ne le sont pas, ses personnages, eux, du moins, sont de qualité. Il y a toujours une marquise ou une duchesse.
Depuis la crise, M. Francis, qui n'est pas de Croisset, y a même fait entrer la bonne bourgeoisie à trait d'union, ce qui fait sérieux et cossu. Tous descendent d'une grande famille ou d'une belle voiture.
Malheureusement c'est quelquefois sur le bide. Mais cela reste chic et distingué. M. Francis, qui n'est pas de Croisset, lorsqu'il ramasse une veste, la fait soigneusement repasser et s'il ne vient à personne l'idée de rejouer ses pièces, c'est que sans doute on pense que leur auteur a trop de goût pour aimer les reprises.
Ses comédies d'ailleurs ont quelquefois du succès.
Quand il écrit quelque chose, ce n'est jamais un monde.
Mais c'est toujours du beau monde.
Et puis c'est du travail soigné, entièrement cousu main.
M. Francis, qui n'est pas de Croisset, a eu un bon patron : Robert de Flers.
Il continue à tailler sur le même modèle, ça fait toujours élégant.
M. Francis, qui n'est pas de Croisset, est, au reste, un homme d'esprit, c'est-à-dire qu'il inscrit sur un calepin tous les bons mots qu'il entend.
Lorsque le calepin est rempli, la pièce est terminée.
Et tout le monde y est spirituel, le marquis, la duchesse, le monsieur à trait d'union, le gâteux, le jardinier et l'enfant de deux ans et demi.
C'est abominable.
Aussi abominable que ce que M. Francis, qui n'est pas de Croisset, peut reprocher au méchant metteur en scène qui lui a abîmé sa Ciboulette. Car il faut bien le dire : les auteurs dramatiques sont insensés.
Lorsqu'ils ont écrit une pièce, ils n'ont qu'une hâte ; qu'on en tire une opérette, un film. Si on pouvait en tirer en outre une thèse de droit, un guide gastronomique ou un indicateur de chemins de fer, ils seraient encore plus heureux. M. Paramount, M. Pathé Natan ou M. Osso étant venus leur demander leur œuvre, ils la donnent volontiers contre un gros chèque.
Ils n'y songent plus pendant de longs mois. Puis, l'argent dépensé, ils s'écrient tout à coup avec horreur :
- Qu'a-t-on fait de mon enfant ?
Qu'espéraient-ils, en l'occurrence, qu'on en fasse ? Ils me font penser à ces parents qui appelleraient à la garde et qui prendraient le monde à témoin que leur fille a mal tourné, après l'avoir eux-mêmes vendue à M. Alphonse ou à M. Philibert.
Pierre Bénard