A vue de pays, je dirais que cette habitude s'est contractée à l'ombre des grammaires grecque et latine, qui toutes sans exception ouvrent le chapitre des conjugaisons par le verbe signifiant être. À se demander s'il n'y a pas là un sous-entendu religieux : le dieu de la Bible se définit comme « je suis ». Or l'Eglise eut très longtemps le monopole de l'enseignement.
Finalement, partir à la recherche de l'Histoire de la classification des verbes et sur les traces de cet auxiliaire être se révèle fort intéressant
Influence des grammaires grecque et latine, sans nul doute. Rapport direct avec le Tétragramme Divin moins évident , à mon avis.
- Cette classification des verbes a évolué dans le temps:
Robert Estienne ( 1606: avant la Logique de Port- Royal) Manière de tourner en langue française les verbes actifs, passifs, gérondifs ... classe les verbes en cinq catégories: actifs, passifs, neutres, quarts ( appelés aussi communs) et déponents .
Au niveau des exemples de conjugaison, cette grammaire de Robert Estienne ( correspondance latin/français) commence par le verbe amo ( j'aime) considéré comme l'exemple type du verbe et non par être.
On retrouve trace de cette classification et évolution dans la Grammaire nationale de Bescherelle 1847:
Là , les verbes sont classés en cinq sortes:
-actifs, passifs,neutres,réfléchis, impersonnels.
Les auxiliaires et semi-auxiliaires sont traités à part.
Aujourd'hui , en lisant Grevisse , on trouve une classification nettement plus diversifiée.
Les groupes de conjugaison:
-Chez Robert Estienne, il n'y a pas de tels groupes. On trouve l'ensemble de la conjugaison du verbe aimer servant de modèle général, le verbe sum(je suis) traité à part et ensuite habeo, j'ai car servant aussi de modèle pour certains verbes ou car beaucoup de mots sont tirés de ce verbe.
- chez Bescherelle , il y a quatre conjugaisons . Auxiliaires mis à part
- Aujourd'hui trois groupes . Auxiliaires toujours à part.
Concernant cette place particulière du verbe Être:
Il me semble intéressant de partir de la définition du mot verbe. A rebours:
Chez Grevisse: 14 ème édition § 767:
Le verbe est un mot qui se conjugue
Pour le Tlfi: verbe:
GRAMM. Mot exprimant un procès, un état ou un devenir, variant, dans de nombreuse langues, en nombre, en personne et en temps et ayant pour fonction syntaxique de structurer les termes constitutifs de l'énoncé.
Mais pour Robert Estienne:
Verbes , ce sont mots qui signifient faire quelque chosecomme Amo : j'aime ou souffrir , comme Amor: je suis aimé.
Nous ne situons plus du tout dans le même registre! Au XVII ème, la définition est d'ordre sémantique, aujourd'hui, uniquement d'ordre grammatical ( variation en fonction de la personne, du temps, du mode= conjugaison).
Qu'en est---il du verbe Être ?
Aujourd'hui: auxiliaire.
Pour Robert Estienne:
Le verbe SUM qu'on appelle substantif pour- tant qu'il signifie la chose estre en nature : lequel ne suit point la déclinaison d'aucun autre verbe.
Ainsi , au XVIIème , le verbe être n'est pas vraiment considéré comme un verbe . Cette notion de verbe substantif est confirmée chez Littré:
Le verbe substantif, le verbe être, qui exprime l'existence par lui-même.
Nous approchons effectivement de ce que disait P'tit Prof , ce n'est pas une catégorie vraiment grammaticale ( fonctionnement de la langue)au sens d'aujourd'hui, mais une notion qui relève de la philosophie.
En effet, cette notion de verbe substantif pour le verbe être , se trouve déjà chez Aristote qui mettait être à part de tous les autres verbes . Bien entendu, lui, ne se référait pas au Tétragramme , au Nom Divin.
Il me semble qu'avec la Logique de Port Royal, la référence religieuse chrétienne s'est substituée ou rajoutée à ce qui était la réflexion philosophique D'Aristote.