Torsade de Pointes a écrit:Sur le site de Trends, magazine économique flamand, je viens encore, pour la tantième fois, et à ma grande exaspération, de voir exprimée cette idée, devenue entre-temps une attaque classique contre la langue française, presque un lieu commun, idée selon laquelle le français serait une langue au vocabulaire pauvre, par contraste avec l'anglais, dont on a coutume de prétendre du même souffle qu'il est infiniment riche et nuancé.
Sur ce premier point, par méthode, je ne vous suis pas : si l'on fait de la richesse lexicale d'une langue un atout, ce qui est stupide, on est évidemment invité, quand on veut la défendre, à trouver des arguments plus ou moins pertinents pour faire croire que dans sa langue, des mots, il y en a partout. Des chiffres, il n'y a rien de plus facile et si le jeu c'est d'avoir le plus de mots, vous verrez qu'on va en trouver des palanquées.
C'était pour éviter ça que j'écrivais plus haut que la richesse d'une langue n'est pas un argument de poids. Au contraire, dans une optique élitiste (préférer la langue la plus élégante à la langue la plus vulgaire ou, en d'autres termes, la langue des classes oisives à la langue des classes laborieuses), on peut soutenir que plus une langue est pauvre (mais d'une pauvreté issue d'un raffinage) mieux c'est. La richesse c'est l'encombrement, l'engorgement ; la pauvreté, c'est la clarté (or, tout le monde sait que le français est clair -demandez à Dutourd ou Druon si vous ne me croyez pas-, donc peut soutenir notre différence. Au surplus, le surpoids c'est pas ce qui se fait de mieux).
On ne peut pas nier tout de même que l'histoire de la langue française telle qu'elle est enregistrée par les dictonnaires est d'abord l'histoire d'une épuration (je parle pour la situation de la France). D'où la taille fine de Bob.
Il est nécessaire de poser cela pour s'interroger sur la richesse linguistique comparée du français et de l'anglais : sinon, il y a trop d'intérêts en jeu et tout consistera à racler les manuscrits afin d'obtenir le plus gros chiffre.
le français ne se signale nullement,
par rapport aux langues que je connais (dont l'anglais), par son
indigence lexicale.
Mais qui l'a prétendu ? personne ici ; on dit seulement que si l'on calcule son lexique à partir de son dictionnaire, il y a moins de mots en français qu'en anglais. Ce n'est pas une honte et surtout pas un problème : qui peut connaître déjà ne serait-ce que 100000 mots ? Ça commence à faire.
Dans l'article en question, l'auteur s'appuie sur une « preuve » (de
la pauvreté française) tout aussi classique : l'épaisseur des
dictionnaires. Ainsi, le Robert et le Littré ne comptent que
respectivement 60 et 80 mille mots (sous-entendu : le français compte
donc seulement 60 et 80 mille mots), alors que le dictionnaire
d'Oxford en comprend plus de 600 mille (avec le même sous-entendu :
l'anglais est donc riche de plus de 600 mille vocables) [...] le français compterait 100 mille mots, l'allemand 300
mille, et l'anglais 400 mille [...] c'est, une fois encore,
la taille des dictionnaires usuels. En effet, 100 mille est le nombre
de mots du Grand Robert, 300 mille, celui du Duden, et 400 mille
celui du gros Webster (si mes renseignements sont bons) [...] Mais cet argument (du nombre d'entrées dans les dictionnaires) est-il
pertinent ? Non bien sûr, c'est un critère tout à fait tendancieux,
et il suffit d'examiner et de comparer les différents dictionnaires
pour s'en convaincre. D'abord, il faut s'entendre sur ce qu'est un «
mot ». La définition du mot comme étant une séquence de signes
comprise entre deux espaces n'est pas satisfaisante en l'espèce, car
cela conduirait à ne pas considérer comme mots des ensembles tels
que « pomme de terre » parce que, par convention d'écriture, et
contrairement à ce qui se passe en allemand par exemple, les éléments
de ce type de composés ne sont pas soudés les uns aux autres. Il
vaudrait mieux parler de termes, ou d'unités lexicales, puisqu'aussi
bien les composés concernés fonctionnent comme tels (comme l'indique
le fait que l'adjectif qui s'y rapporte se place après l'ensemble ;
on ne dira pas « pommes rissolées de terre » mais « pommes de terre
rissolées ». Or, ces composés ne font pas, ou très rarement, l'objet
d'une entrée à part dans les dictionnaires français, mais sont
traités à l'intérieur même des articles (à quelques exceptions près,
comme « pomme de terre » justement, dans le Robert). Au contraire,
dans les dictionnaires allemands, les composés à la germanique sont,
forcément, autant de mots-vedettes. Comparer le nombre de mots, ou
plutôt d'entrées, du dictionnaire français et allemand est sans
pertinence, et ne permet aucune conclusion quant à la richesse
lexicale respective. [...]
C'est juste si c'est vrai (je n'ai pas de dico étranger sous la main).
Puis il y a cet autre aspect de la lexicographie : quel est le degré
d'exhaustivité auquel on vise ? Quand vous feuilletez le Webster,
vous vous apercevez vite que celui-ci, pour parler familièrement,
ratisse plutôt large. Y sont recensés des tas de plantes exotiques,
des régiments entiers de bestioles obscures et bizarrement nommés qui
ne voient jamais la lumière du jour, une kyrielle de composés
chimiques sophistiqués, des myriades de noms d'enzyme, etc., dont les
équivalents existent évidemment en français, mais dont on ne retrouve
qu'une très faible fraction dans les dictionnaires français usuels, y
compris dans les plus fournis. S'y ajoutent force archaïsmes et
régionalismes. Les langages de spécialité (vocabulaire des métiers,
des sciences, etc.) comprennent chacun des milliers, voire des
dizaines de milliers de mots, et cela fait une sacrée différence si
vous décidez d'en inclure, dans votre dictionnaire, 1 pour cent, ou 5
pour cent, ou 10 pour cent. Les dictionnaires français traditionnels,
plus littéraires, apparaissent très sélectifs
D'accord : dans un dictionnaire français il y a de 60000 à 100000 mots, mais les ¾ des mots sont oubliés car on n'y met que les mots communs et usuels, et l'on réserve le reste à des dictionnaires spéciaux dont on possède des tonnes. On a donc le lexique légal d'un côté et le lexique réel de l'autre. Si l'on cumulait, on arriverait au même tonnage que l'anglais.
de grâce, qu'on cesse donc de toujours
brandir cet argument pour faire passer le français pour pauvre.
Mais personne n'a prétendu que le français était pauvre : on se demandait seulement si l'anglais n'était pas plus riche.
Bon, d'accord ; l'anglais n'est pas plus riche que le français ; ce sont ses dictionnaires qui nous trompent : ils ne sont plus gros parce qu'ils sont encombrés de mots rares ou techniques.
C'est bien possible : n'empêche qu'il y a une différence entre l'anglais et le français : si ce n'est pas la quantité, c'est le libéralisme : les dictionnaires d'anglais ratissent beaucoup plus large et enregistrent beaucoup plus vite le lexique que cela se fait en France.