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Identité nationale et langue française, par Claude Hagège | 2010-03-08

Papi Hagège fait de la résistance ()

Le lieu de notre définition collective est plus que tout la langue : c'est celle-ci que, partout et toujours, les nations exaltent pour être reconnues. Il est donc surprenant que le débat sur l'identité nationale ne fasse pas référence à la langue française, jusqu'ici enjeu capital sous tous les régimes. Pourquoi est-elle aujourd'hui occultée ?

Sous les IIIe, IVe et Ve Républiques avant 1992, le français était conçu comme une valeur politique fondamentale, investie même d'une mission civilisatrice. L'école incarnait cette conception, et même les adversaires de l'expansion coloniale voyaient en lui une compensation à l'entreprise de conquête fondée sur le profit. Aujourd'hui, la France voit aussi sa langue comme celle d'un pays membre de l'Union européenne.

Dès lors, l'idéologie dominante se contente de camper sur les positions acquises par le français dans le monde, ou même les affaiblit : très souvent, on réduit le nombre et le budget des services culturels français, au moment même où des pays, qui ont découvert bien après la France l'importance de leurs langues pour la promotion mondiale de leurs identités nationales, multiplient partout les instituts : Goethe pour l'allemand, Cervantès pour l'espagnol, Camões pour le portugais, et surtout Confucius pour le chinois.

A ces dynamiques foisonnantes tente de répondre le récent projet d'Institut Victor-Hugo, certes prometteur, mais non encore doté de tous les moyens de son efficacité.

L'oubli du rôle de la langue dans la définition de l'identité nationale s'accompagne, logiquement, de l'absence de l'Etat face au déferlement d'une langue qui porte une autre identité : l'anglais. Aucun contrôle officiel ne vient contenir ce déferlement, favorisé par l'idéologie libérale, qui ouvre un vaste champ à l'américanisation du français dans tous les domaines. Ce phénomène, certes général en Europe et ailleurs, revêt en France un aspect d'autant plus caricatural, sinon tristement comique, que ce pays est celui-là même qui s'est très longtemps distingué par sa conception de la langue comme objet d'une politique concertée.

Paradoxalement, une partie de ceux qu'exclut la conception présente de l'identité nationale sont, par opposition aux Français de souche fascinés par tout ce qui est américain, des immigrés dont les plus cultivés voient dans le français le facteur même de leur intégration.

Leur vision rejoint celle des soixante-dix pays membres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), créée en dehors de la France et, au début, sans elle, par des hommes politiques d'Afrique et d'Asie qui, une fois acquise l'indépendance, ont retenu le meilleur : le pouvoir inhérent à la langue, brocardé par certaines "élites" françaises qui noient leurs frustrations dans l'hostilité au "français colonial".

Les pays francophones comprennent mal que la masse des Français n'aime pas sa langue, et ignore l'OIF, où figurent le Québec, la Belgique, la Suisse, de nombreux Etats d'Europe et d'Asie. C'est la seule fédération bâtie autour d'une langue et offrant un autre choix face à l'anglais. Car avec ce dernier, le français, bien que moins riche en locuteurs que l'espagnol ou le portugais, est seul à partager un trait capital : la présence sur les cinq continents.

Cette universalité justifie une politique résolue. La France, au lieu de donner au seul anglais une présence croissante dans l'enseignement, doit introduire dès le début de l'école deux ou trois autres langues. En effet, la promotion de la diversité linguistique du monde est étroitement solidaire de celle du français. Il faut exiger, d'autre part, que les anciens élèves des grandes écoles françaises cessent d'imposer, sans aucune raison convaincante, l'anglais aux personnels de leurs entreprises installées en France.

Il faut que l'école souligne fortement la capacité du français à exprimer à lui seul tous les aspects de la modernité. Il faut y introduire l'histoire de la francophonie, comme matière révélant avec éclat le rayonnement du français et l'idée que s'en font bien des pays, face au discours du déclin qu'une partie de la presse anglophone distille ici et là. Cette place éminente de la langue française dans l'identité nationale est totalement compatible avec la construction européenne, et avec l'affermissement de la présence de la France parmi les puissances économiques d'aujourd'hui. Il est grand temps d'en convaincre les Français et le monde.

Claude Hagège est professeur émérite au Collège de France.

    Source : http://www.lemonde.fr/
    Posté par gb