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Brigneau réédité aux éditions Baleine | 2010-02-20

Brigneau l'argotier réac et facho se fait la Baleine ; pour Daeninckx le gaucho des pampas banlieusardes, le Poulpe est pleine ()

Réédité dans la maison du Poulpe, un roman raciste de François Brigneau, ex-milicien et journaliste d’extrême droite, suscite l’émoi. Didier Daeninckx mène la fronde.

La Baleine traverse une crise. La maison d’édition, née en 1995 en même temps que son héros emblématique Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, infatigable pourfendeur de fachos, se trouve sous le coup d’une bagarre féroce opposant la direction à ses auteurs. A l’origine de la fâcherie, un roman écrit en 1948 par François Brigneau et que le patron de Baleine, Jean-François Platet, réédite ces jours-ci.

Il se trouve que le Brigneau en question, 92 printemps au compteur, de son vrai nom Emmanuel Allot, est un plumitif dont l’abondante production a fait le bonheur de la quasi-totalité des journaux d’extrême droite de l’après-guerre, à commencer par Minute dont il fut un des fondateurs. Editorialiste à l’antisémitisme maintes fois condamné, Brigneau est également l’auteur d’une pléthore d’ouvrages où il ne tarit pas de louanges sur, entre autres, Pétain, Mussolini, Faurisson, Mgr Lefebvre ou Brasillach - dont il prétend avoir été le secrétaire en prison.

Fresnes. Par le fait, Brigneau s’était engagé dans la Milice le 6 juin 1944, probablement pour botter le cul des Alliés fraîchement débarqués, ce qui lui a valu un séjour à Fresnes à la Libération. Il en sort manifestement intact puisqu’il entame illico sa longue carrière de polémiste dans Paroles françaises.

En chemin, il fait un détour par la case polar aux Editions Froissard, dont les heures de gloire coïncident avec la réédition de Blondin et Céline. C’est un de ses romans, Paul Monopaul, retitré Faut toutes les buter !, qui débarque dans le catalogue Baleine. L’encre sur les pages n’est pas encore sèche que Didier Daeninckx, pas le dernier à débusquer le faf y compris parmi ses amis, fait tourner une pétition auprès des auteurs de la maison les invitant, sur son exemple, à en claquer la porte illico. Extraits : «J’ai publié à Baleine, qui s’est construite sur une prise de parole antifasciste. […] Ce n’est pas pour accepter de figurer dans une décharge, ce que sont à mes yeux devenues les éditions Baleine après avoir mis l’ex-milicien Brigneau à leur catalogue […]. Je romps donc à ce jour toute relation avec les éditions Baleine.» Depuis, une pétition a été signée par une vingtaine d’auteurs (dont Patrick Raynal, Maud Tabachnik, Chantal Montellier, Romain Slocombe, Claude Mesplède) demandant «le retrait immédiat de leur nom et de leurs œuvres du catalogue des éditions Baleine». Didier Daeninckx argumente :«La publication de ce roman est absurde, elle bafoue l’histoire de cette maison d’édition. Tout le monde y perdra : Baleine, Platet, les auteurs. Le seul gagnant, ce sera Brigneau.»

Jean-François Platet, lui, plaide la qualité du texte. «Il y a longtemps que j’aime ce roman que je trouve drôle, passionnant, et pionnier dans l’histoire du polar avec cette langue argotique formidable. J’ai essayé plusieurs fois de le publier, en vain. Quand Baleine était encore sous la tutelle du Seuil, Denis Jambar, le patron, s’y était opposé. Aujourd’hui que le livre est là, je continue à défendre le texte. Le reste ne m’intéresse pas. Et puis, ce n’est pas moi qui ai mis le bordel.»

Autrement dit, c’est Daeninckx. Le même qui, voici plus de dix ans, s’était fâché avec d’autres auteurs, de gauche, qu’il accusait de révisionnisme. Pas très convaincant. Quant à la suite, si certains auteurs veulent quitter Baleine, ça se paiera… «Il y a des contrats d’édition signés, prévient Platet. Ça se réglera par lettres recommandées et avocats interposés.»

«crouïas». Alors que Baleine commençait à se remettre d’une longue période de flottement, reprenant notamment la collection endormie du Poulpe, la publication d’un roman de Brigneau en vaut-elle la chandelle ? La réponse, c’est bien le comble, est non. Cette truculence que vante Platet sent atrocement le faisandé. Le premier chapitre est un festival de «crouïas», «bicots», «arbis» et autres «il ne trouvait plus ses mots en français. Alors, il a commencé à postillonner en macaque», le tout en moins de quinze pages. Quand Brigneau change de registre, c’est pour décrire un monde d’hommes, de vrais, qui traficotaient pendant l’Occupation et détroussaient plus tard les collabos, qui culbutent les bourgeoises en fleur avant de leur coller des mandales et qui assassinent de sang-froid qui leur plaît, histoire de relancer l’intrigue, enlisée depuis longtemps dans la médiocrité.

Autrement dit, c’est vieux, un peu bête et pas bien écrit. Bien sûr, on trouvera toujours des nostalgiques pour invoquer les grands anciens. Les Simonin, Malet, Blondin, Helena, voire ADG dont il n’est pas difficile de trouver dans certains de leurs romans des signes extérieurs de racisme d’époque. Parfois, c’était pour rire, et parfois, même si l’on en rit, c’était du sérieux. Sauf que ces gens avaient un talent, ce qui les rendait du reste si agaçants. Ce n’est pas le cas de Brigneau, dont l’argot à marche forcée fait l’effet d’une boule puante : incommodant et pas drôle.

Pour rester dans le registre de la farce douteuse, il n’est pas impossible, même s’il s’en défend, que Jean-François Platet ait juste eu envie de faire parler des éditions Baleine. On verra si c’est réussi. Jean-Bernard Pouy, auteur du premier Poulpe, résume la situation : «Après tout ce qu’on a fait, ça me ferait un peu ch… de m’en aller. Au fond, ce n’est pas à nous de partir, c’est à Brigneau de vider les lieux».

Par BRUNO ICHER

    Source : http://www.liberation.fr/
    Posté par gb