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Mitterrand, Google Livres et la numérisation | 2009-09-11

Sur la numérisation de la BNF par Google Livres ()

Posons les termes du débat, sans caricature

La numérisation de notre patrimoine est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls spécialistes. Elle nous concerne tous. C'est la conservation, le rayonnement et l'accessibilité de notre patrimoine et de notre création qui sont en jeu. Nous le savons : nous serons jugés demain, nous le sommes déjà, sur notre capacité à accompagner la révolution numérique pour la mettre au service de nos concitoyens.

Tous les champs de la culture sont concernés, et chacun fait déjà des choses remarquables dans son domaine. L'Institut national de l'audiovisuel (INA) rend accessible une part considérable de nos riches archives audiovisuelles. La plupart de nos musées, le Louvre et Orsay en tête, offrent aux internautes des visites informées de leurs prestigieuses collections. Le ministère de la culture et de la communication met à la disposition de tous, en un seul clic, des millions d'images et de notices.

Toutes réalisations qui viennent à point nommé, au moment où, après tant d'années de difficultés de mise en place, un enseignement d'histoire des arts va être proposé dans nos écoles, collèges et lycées. Enfin, les récents débats l'ont mise une nouvelle fois en première ligne, la Bibliothèque nationale de France (BNF) a commencé à élaborer, depuis quelques années, une bibliothèque numérique à deux étages : Gallica, riche de près d'un million de documents et de trois millions de visites en 2008, pour sa partie française, et Europeana, qu'elle bâtit en commun avec ses partenaires européens.

Pour être vraiment accessible, il faut être visible. Toutes ces initiatives donnent parfois l'impression d'avancer quelque peu en ordre dispersé. Il est nécessaire de faire enfin un grand fleuve à partir de toutes ces rivières qui ne sont, d'ailleurs, pas si petites qu'il n'y paraît. Je veux que soit créée, dans les meilleurs délais, une seule et unique porte d'entrée pour l'ensemble du patrimoine culturel français sur Internet.

Un tel portail aura plusieurs avantages évidents : sa richesse et son attractivité le rendront incontournable aux grands moteurs de recherche internationaux afin qu'ils ne puissent omettre de l'indexer, quelle que soit la complexité parfois opaque de leurs algorithmes de classement. En outre, il saura permettre l'accès de tous sans sombrer dans la précipitation du vrac ou l'empressement du zapping. Il pourra bénéficier de toutes les avancées du Web, les blogs, les réseaux sociaux, les forums pour enrichir et rendre plus familier, plus convivial, notre accès à la culture.

C'est dire si je n'oppose pas ici, dans une vision frontale et caricaturale qui serait ridicule, la technologie au patrimoine, Google à Europeana, le public au privé, la France à l'Amérique, Astérix à Goliath. Je ne pratique pas le "ni ni", pas davantage le "ou bien, ou bien" : chacun des projets possède sa logique et ses qualités propres, ce qui n'exclut pas d'imaginer des connexions ou d'éventuelles complémentarités.

Je connais l'efficacité du géant américain : je sais les raisons qui ont amené des institutions aussi vénérables que la Bibliothèque bodléienne d'Oxford ou, plus près de nous, celle de Lyon, à travailler avec l'entreprise de Sergei Brin et Larry Page. Je n'exclus aucune solution et je souhaite que nous prenions un peu de hauteur pour fixer notre attention sur les enjeux.

Je sais que tout ce qui touche au patrimoine et à la création, autant dire à notre mémoire et à notre imagination personnelles et collectives, est passionnel en France, et il faut, en un sens, s'en réjouir. Les Français, depuis la création du ministère des affaires culturelles, dont nous célébrons cette année le cinquantenaire, ont toujours été très sensibles à la diversité de l'offre culturelle sur notre planète.

Ils savent qu'il existe, depuis longtemps, une équation équilibrée entre notre exigence d'indépendance nationale et le pluralisme artistique et culturel. Ils connaissent les écueils du monolithisme d'Etat, aussi bien que les dangers de l'hyperpuissance et du monopole. Le président de la République l'a rappelé à plusieurs reprises, dans son discours de Nîmes, ou encore, plus récemment, dans celui qu'il a prononcé au Palais de Chaillot, à la Cité de l'architecture : le temps n'est plus où l'art, "le vrai, le grand, le beau", comme disait Victor Hugo, était considéré comme secondaire et supplétif, voire superflu. La "société de la connaissance" sera une société de l'accessibilité ou ne sera pas.

Et on ne pourra pas y faire l'économie du levier numérique. C'est pourquoi je proposerai qu'une partie du grand emprunt national soit consacrée à cet enjeu fondamental, celui du soin que nous prenons à nos symboles, qui n'ont, chacun le sait, rien de symbolique et celui des garanties que nous donnons à nos créateurs ainsi qu'à l'ensemble des internautes.

par Frédéric Mitterrand. (Frédéric Mitterrand est ministre de la culture et de la communication.)

    Source : http://www.lemonde.fr/
    Posté par gb