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Réédition de Chester Himes et traduction révisée | 2007-11-09

« Je donne tous les Hemingway, les Dos Passos, les Steinbeck pour ce Chester Himes1. » ()

Chester Himes : deux flics à Harlem

C'est par hasard que Chester Himes s'est lancé dans la rédaction de ces aventures de deux policiers noirs, Ed Cercueil et Fossoyeur, qui l'ont rendu célèbre. L'anecdote est rapportée dans ses Mémoires par Marcel Duhamel, directeur de la "Série noire".

En 1957, il croise Chester Himes dans les couloirs de la maison Gallimard et lui propose d'écrire des thrillers. "Vous avez le décor, des personnages à coup sûr pittoresques, de l'imagination..." Chester Himes répond qu'il serait bien incapable d'inventer une intrigue. "Non, insiste Duhamel, il se passe suffisamment de choses à Harlem sans que vous ayez besoin de vous mettre en frais de ce point de vue. Partez d'un simple fait divers, d'une scène de poste de police..." Quinze jours plus tard, Chester Himes apporte un premier manuscrit. Un contrat est signé pour huit romans.

Le premier à paraître, La Reine des pommes, obtient en 1958 le Grand Prix de littérature policière. Jean Giono déclare à son propos : "Je vous donne tout Hemingway, tout Dos Passos et tout Fitzgerald en échange de ce Chester Himes." Celui-ci a résolu, provisoirement, ses soucis financiers et obtient enfin en France la reconnaissance qui lui était refusée aux Etats-Unis.

L'histoire tient quelque peu du conte de fées et mérite d'être nuancée. Quand il arrive en France en 1953, Chester Himes n'est pas un débutant. Né en 1909, il a commencé à écrire dans le pénitencier de l'Ohio, où il purge, à partir de 1928, une peine de vingt-cinq ans de prison pour chèque sans provision et vol à main armée. C'est là qu'il découvre l'écriture ; il lit beaucoup - Dashiell Hammett et Dostoïevski - et écrit des nouvelles qui sont publiées par plusieurs magazines. Bénéficiant d'une remise de peine il est libéré en 1936. En 1945 paraît avec succès son premier roman If the Hollers, Let Him Go, traduit en français en 1948 par Marcel Duhamel sous le titre S'il braille, lâche-le.

S'il est immédiatement reconnu et encouragé par des écrivains noirs américains comme Langston Hugues et Richard Wright, il reçoit parfois un accueil mitigé de la critique, déroutée par la rage qu'il exprime dans ses romans. C'est d'ailleurs après l'échec de La Croisade de Lee Gordon qu'il décide d'aller à Paris rejoindre Richard Wright : "Les Blancs m'avaient rejeté, les Noirs ne voulaient pas de moi, je me sentais comme un homme privé de pays."

Dans le cycle de Harlem, Chester Himes s'en donne à coeur joie. Ses deux héros Jones, dit Fossoyeur, et Johnson, dit Ed Cercueil, ne sont pas des anges comme leur surnom le laisse supposer. En tant que policiers noirs, ils sont perçus comme des traîtres à leur communauté qu'ils s'efforcent pourtant de protéger parfois d'elle-même tout en faisant respecter la loi des Blancs. "Ils prélevaient leur tribut, comme tout flic qui se respecte, auprès des fournisseurs de la pègre - tenanciers de tripots, maquerelles, tapineuses, preneurs de paris et banquiers de la loterie. Mais ils étaient durs avec les braqueurs, casseurs, arnaqueurs de tout acabit." Il y a chez Chester Himes une verve rabelaisienne et son épopée d' Harlem est constamment drôle, surprenante, émouvante. "Rien n'est plus divertissant qu'un Nègre absurde", disait Himes.

Radicalisme et pessimisme

La présente édition, "Quarto", publie en préface un texte très éclairant de Chester Himes intitulé "Harlem ou le cancer de l'Amérique" et des traductions modernisées. Peut-être était-ce utile, mais il faut tout de même rendre hommage aux premiers traducteurs qui se sont colletés avec l'argot de l'auteur. Particulièrement à Minnie Danzas qui eut cette brillante inspiration. Déconcertée par l'explication que l'auteur fournissait au titre de son premier roman A Five Cornered Square - "un carré tellement carré qu'il a cinq angles" -, elle aurait répondu : "En argot, un type comme votre cave s'appelle la reine des pommes."

On regrettera qu'un neuvième et dernier épisode des aventures de Cercueil et Fossoyeur n'ait pas été retenu dans ce volume. En 1969, Chester Himes avait écrit un roman où il fait mourir ses deux héros. Gravement malade, il ne put l'achever. En 1983, un an avant sa mort et avec son accord, l'éditeur Lieu commun mit en forme les vingt ou trente pages manquantes et publia le livre sous le titre Plan B.

On perçoit pourtant, en considérant les huit romans à la file, une évolution vers un radicalisme et un pessimisme de plus en plus marqué. Dans un entretien avec Michel Fabre publié dans "Le Monde des livres" du 13 novembre 1970, Chester Himes évoque ainsi L'Aveugle au pistolet, huitième épisode de la série : "J'ai mis plusieurs années à l'écrire et à le réécrire précisément parce que je ne voulais pas m'en tenir à un récit policier. Je voulais conserver mes détectives tout en écrivant un roman sociologique sur les relations raciales, un roman social dans le genre policier." Ce qui abolit la distinction que faisait Himes lui-même entre "romans sérieux" et romans abracadabrants.

Comme le démontre brillamment James Sallis dans la biographie qu'il lui a consacrée (Chester Himes, une vie, "Rivages noir", 2002), si ses livres paraissent absurdes c'est qu'ils décrivent avec trente ans d'avance la vie des ghettos et "constituent une histoire sociale concise des Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la révolte urbaine des Noirs dans les années soixante".

Cercueil et fossoyeur. Le cycle de Harlem, de Chester Himes. Traductions de l'anglais (Etats-Unis) révisées par C. Jase. Gallimard, "Quarto", 1372 p., 25 €.

Gérard Meudal.
Article paru dans l'édition du Monde 09.11.07

 

1 D'après la lettre de Giono reproduite dans Giraud (Robert) et Ditalia (Pierre). L'argot de la Série Noire

    Source : http://www.lemonde.fr/ ; récupéré sur http://lalignegenerale.typepad.com/(valider les liens)
    Posté par gb