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Lexique des cités et dictionnaires (et Alain Rey) | 2007-10-03

Quelques mots rassurants d'Alain Rey, préfacier du Lexik des cités, à propos du langage des jeunes de banlieues et de l'ouverture des dictionnaires aux variétés de la langue française. ()

« Un melting-pot à la française »

Alain Rey, conseiller linguistique du Robert, commente le Lexik des Cités

Ce Lexik a-t-il une légitimité linguistique ?
Oui, dans la mesure où il est basé sur un travail sérieux de trois ans, sur des recherches linguistiques relativement fouillées, et qu’il a, fait assez inédit, été réalisé « de l'intérieur », par des jeunes de banlieues.

Révèle-t-il un appauvrissement du français ?
Pour parler d'appauvrissement, il faudrait prouver que ces mots provoquent la disparition des ceux qui existent déjà. Il s'agit plutôt d'un double enrichissement : oral, mais aussi visuel, car ces mots sont portés par des graphes, qui sont comme une nouvelle calligraphie... Contrairement à ce qui se passe dans les cultures arabe et chinoise, le Français avait perdu le goût de cet art depuis le XVIIIe siècle.

Le langage des cités est très codé, mais certains mots deviennent courants…
Comme beaucoup de jargons, ce langage a au départ une fonction de cryptage, c'est un code pour se comprendre « entre soi », mais c'est ainsi que le Français, depuis 1 000 ans, s'enrichit. Il y a toujours eu une proportion de nouveaux mots nés dans des couches spécifiques de la population. Beaucoup sont voués à disparaître très rapidement : effet de mode passager, difficulté de prononciation, sens ou utilisation trop confus, l’élimination se fait naturellement. Mais un certain nombre pénètrent durablement dans les cours d'école. Les enfants se ruent sur ces nouveaux mots parce que ça embête un peu les parents, et puis ce langage de génération fait tâche d'huile, et des mots passent dans le langage courant, toutes catégories sociales confondues.

L’évolution du français est-elle la même dans tous les pays ?
Le français du Québec s'enrichit de l'arrivée croissante des Asiatiques et des Latinos au Canada. La Belgique a une évolution plutôt « turque ». La France bénéficie plutôt des cartes « tziganes, arabes, berbères, antillaises, africaines... » Hors de la francophonie, on observe le même phénomène spontané : l'anglais des Etats-Unis se mâtine de mots latinos et noirs américains (le black english), là aussi beaucoup par le biais des banlieues.

De là à faire entrer tous les mots devenus courants dans les dictionnaires…
Les nouveaux mots acceptés par les « garants » de la langue française doivent tenir compte de l'évolution de la population, des données sociologiques. Sinon, la langue ne serait qu'un artifice qui ne correspondrait pas à la réalité, ce serait absurde ! Aujourd'hui, « kiffer » et « keuf » ne sont plus des mots des cités, mais des mots familiers. Cette année, « rebeu » (arabe), aujourd’hui plus utilisé que « beur », un peu dépassé, entre dans les dictionnaires. Bien sûr, il faut veiller à ce que le Français reste correct, garde sa cohérence et reste plus ou moins fidèle à sa manière de fonctionner (glissements de sens par métaphore ou bien emprunts à d’autres langues en contact avec le territoire francophone).

Dans ce Lexik, des mots méritent-ils l’attention des « gardiens » du français ?
J’en vois plusieurs qui mértitent d’être examinés, car ils restent conformes aux habitudes d'évolution du français. « Moelleux », au sens « être mou, avoir la flemme », est une jolie métaphore. Elle pourrait avoir sa place dans un dico. De même, « condé », pour « policier », déjà présent dans plusieurs dicos d’argot, a un vrai rapport avec notre histoire de France. Ce terme désignait le haut responsable de la police sous l’Ancien Régime.

Plus généralement, quels sont les critères pour faire entrer un mot dans les dictionnaires ?
Il y en a beaucoup. Entre autres, la statistique de fréquence sur Internet, la généralisation de l’usage du mot dans l’ensemble de la société, le respect des habitudes d’évolution du français, le potentiel de longévité… Il y aussi des critères esthétiques et bien sûr un équilibre des origines à assurer. Nous sommes par exemple très réticents vis-à-vis de la déferlante de mots informatiques anglo-saxons. Il ne faut pas qu’une seule origine ait le monopole de la nouveauté.

Y a-t-il des différences de traitement des nouveaux mots entre l’Académie française, Le Robert et Le Larrousse ?
Oui. L’Académie française est beaucoup plus réticente par rapport à la nouveauté, Son rôle est de préserver la bonne image du français et de garantir que, lorsqu’on la consulte, on ait la certitude de ne pas faire de faute de français. La Larousse et le Robert sont plus ouverts à la nouveauté. Le Larousse accepte notamment beaucoup de nouveaux termes techniques et scientifiques. Le Robert est un peu moins « sage » : les définitions du mot « couille », par exemple, sont plus denses, plus détaillées. Le Robert a en tout cas la volonté de se baser sur des observations sociologiques. Le choix des mots permet de dresser un portrait de la société française collant au plus proche de la réalité. De même que le Littré est un portrait de la société des XVIIe et XVIIIe siècles, de Malherbe à Chateaubriand…

Alors, la richesse de ce Lexik est-il un symptôme positif pour notre société, en tout cas pour les banlieues ?
Tous ces enrichissements reflètent effectivement de manière positive le melting-pot à la française : j’y vois des signe d’échanges denses, dans la même langue, entre cultures d’origine et d’arrivée… Finalement, les mots recensés dans ce lexique apportent un coup de projecteur peut-être plus équilibré sur ce qui se passe vraiment dans les banlieues (points positifs et négatifs), alors que les médias, avec notamment les polémiques sur l’immigration ou les violences, nous renvoient une image qui ne correspond qu’à 1% de la réalité…
En ce qui me concerne, je suis par ailleurs favorable à un autre enrichissement de la langue française : il faudrait faire entrer plus de mots ou d’expressions issus des langues et patois régionaux. Les dictionnaires actuels traduisent une façon de parler un peu trop « Ile-de-France », à mon goût.

Pour conclure : la langue française est-elle vraiment en bonne santé ?
Sa santé est plutôt bonne, oui. La preuve, certains écrivains dont ce n’est pas la langue maternelle, comme Kundera ou Jonathan Littell (« les Bienveillantes »), se mettent à écrire en français. Et puis, contrairement à certaines idées reçues, le français influence beaucoup les autres langues, encore aujourd’hui…

    Source : http://www.metrofrance.com/
    Posté par gb