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What do I know ? | 2004-07-28

Sur la publication en anglais d'un titre consacré à la finance de la collection Que sais-je ? des Presses Universitaires de France. ()

My que sais-je is riche

What do I know ? Pour la première fois depuis ses soixante ans d'existence, la collection Que sais-je ? des Presses universitaires de France, qui compte à ce jour quelque 3700 titres traduits en 43 langues, sort une nouveauté, à 3000 exemplaires, directement rédigée en anglais. Grande première, cet Investments, écrit par Michael Rockinger, directeur de l'Institute of Banking and Finance à Lausanne, entend répondre à l'enseignement des mathématiques financières, dispensé directement en anglais dans tous les cycles de formations supérieures. Public visé : les étudiants et tous ceux qui travaillent sur la pratique de l'investissement. Il n'est pas impossible, toujours pour répondre à l'internationalisation des cursus, que, dans la même collection, d'autres titres soient publiés dans la langue d'un pays où la recherche est particulièrement pointue dans tel ou tel domaine. Notons que ceux qui, dans l'immédiat, ne se passionneraient pas encore pour la finance ni pour les mathématiques auront la possibilité de lire des classiques plus littéraires, en VO, publiés par les éditions Zulma qui annoncent The Picture of Dorian Gray, d'Oscar Wilde, ou Italian Tales, de Henry James. Everything is understood ?

Gilles Heuré (Télérama).


What do I know?, ou la gifle au français

Benoît Leblanc (Professeur, département de français, Université du Québec à Trois-Rivières) - Libre opinion

Le titre de ce texte copie l'intitulé d'un entrefilet du journal Libération (en ligne) du 26 avril dernier signalant la parution du livre Investments dans la collection «Que sais-je?», des Presses Universitaires de France, livre écrit par Michaël Rockinger de l'Université de Lausanne.

Mes collègues québécois francophones qui enseignent la finance seront sûrement surpris d'apprendre que, selon le communiqué émis par les PUF, «cette discipline s'enseigne prioritairement en anglais désormais, le langage universel de la finance» et que «cette initiative répond donc à un besoin et inscrit la collection dans la modernité». Mort aux anciens !

Cette gifle au français de la technique et de la science va dans le sens de la décision pas tellement lointaine de l'Institut Pasteur de publier Research in Microbiology, descendante directe des Annales de l'Institut Pasteur créées en 1887 sous l'égide de Louis Pasteur -- la transformation de ce périodique reflétant, selon cet institut, l'évolution de l'anglais dans le domaine de l'édition scientifique. La matière grise parle anglais !

Ces deux événements me ramènent à une recherche effectuée pour une conférence donnée au Maryland au sujet du statut de la langue française de la technique et de la science. En peine de titre, j'ai bien pensé au mot déclin, mais au risque de passer devant l'auditoire pour le fossoyeur du français scientifique, j'optai pour le titre euphémisant et mittérandien soit «La langue française de la technique et de la science : une force tranquille».

Déclin établi

Qu'en est-il de ce déclin ? Une petite enquête menée auprès de mes collègues scientifiques à propos de l'usage obligé de l'anglais dans leurs domaines respectifs a confirmé, si besoin était, que cet usage s'avère un fait établi. OEuvrant dans le domaine de la biologie, un chercheur interrogé a fait part de sa frustration relative à cette obligation, mais admet qu'il n'a pas le choix d'opter pour l'anglais ; on lui reprocherait même, le cas échéant, de ne pas publier dans cette langue. Selon son témoignage, dès ses premiers pas dans son programme de maîtrise en biologie, l'étudiant québécois rêve déjà de publier dans Nature (prononcer Nétcheure...), la bible dans son domaine.

Un autre collègue, d'origine arabe, déplore le temps consacré à améliorer ses textes en anglais, sa troisième langue ; autant de temps perdu pour la recherche elle-même. Pour sa part, un professeur québécois d'origine africaine souligne sa déception de devoir communiquer en anglais... en France.

Par rapport à ce pays, les résultats d'une enquête menée en 1994 ont démontré que le Centre national de la recherche scientifique classe, dans l'étude des dossiers de demande de subventions, les publications en français à un niveau inférieur à celui des publications en anglais.

Outre cette tendance, voire cette obligation de publier en anglais, des collègues français interrogés affirment que l'anglais est la langue d'usage dans un grand nombre de laboratoires scientifiques. Maigre consolation, il reste pour les doctorants français l'obligation de rédiger leur thèse en français, bien que cette règle soit parfois bafouée.

En outre, le français comme langue de communication dans les rencontres scientifiques internationales ne se porte guère mieux. Prenons l'exemple du Congrès international des sciences onomastiques tenu à Uppsala en 2002 ; l'anglais, l'allemand et le français, sont les langues officielles de ce congrès. Vu le grand nombre de participants, les séances se déroulent simultanément, créant ainsi une concurrence entre les présentateurs et l'on devine que le français ne fait pas le poids.

Ici se pose le problème de choix pour les locuteurs étrangers à ces trois langues. On devinera l'heureuse élue, quoique les chercheurs des pays de l'ancienne URSS aient parfois choisi l'allemand. Et bien que le français soit l'une des langues du congrès, le chercheur francophone se heurte à un dilemme. Utiliser fièrement son français devant un nombre restreint d'auditeurs, dans un local tout aussi restreint par opposition aux amphithéâtres réservés pour les workshops en anglais, ou passer à l'anglais, triplant ainsi l'auditoire, et assurer une meilleure diffusion de ses travaux.

Qui blâmer ?

Qu'en conclure ? Les scientifiques francophones publient rarement dans leur langue et cela confirme un affaiblissement du français comme outil de communication. Doit-on les blâmer, les considérer comme des capitulards ? Sont-ils réalistes, défaitistes, fatalistes ? Ou mieux, n'agissent-ils pas en excellents communicateurs soucieux d'assurer une diffusion maximale à leurs recherches ?

Les réponses à ces questions n'apportent pas de solution au recul du français et les faits décrits précédemment surprendront peu les universitaires, mais ils posent problème en ce qui touche l'avenir des chercheurs francophones, plus particulièrement les jeunes Québécois, intéressés à réussir à un haut niveau : ils doivent maîtriser l'anglais.

Cela dit, l'aménagement linguistique au Québec devra être vu à la fois sous l'angle de la défense du français et celui d'un usage véhiculaire de l'anglais. La langue française elle-même n'est pas en cause : elle peut exprimer adéquatement toutes les réalités techniques et scientifiques. Le défi consiste à équiper linguistiquement les jeunes scientifiques québécois leur permettant de communiquer en anglais à l'échelle internationale tout en préservant la pérennité de la langue française. C'est une langue belle à qui sait la défendre, certes, mais cette beauté toute subjective «n'apporte pas à manger».

Le français n'est pas le seul à jouer un rôle de second plan, et bon nombre de locuteurs d'autres langues se formalisent peu de cette situation. Des mesures défensives sont parfois élaborées, comme l'obligation, au Japon, de publier d'abord en japonais les travaux subventionnés par les organismes publics. Ce geste défensif entrave la diffusion de la recherche; la communauté scientifique internationale n'accédant dans un premier temps à ce savoir que par les abstracts anglais, information bien fragmentaire.

Au Québec, pourrait-on développer davantage un enseignement d'un anglais fonctionnel, voire scientifique, dans les programmes d'études universitaires et intégrer son usage dans les travaux, sans toutefois négliger l'enseignement d'un français de qualité à tous les niveaux scolaires pour ne pas perdre contact avec la francophonie ?

Dans une optique d'ouverture vers le monde, il faudra penser à la mise en place d'une politique des langues en termes d'un aménagement interlinguistique prenant en compte la force tranquille du français tout en favorisant une intégration de l'anglais dans les cursus universitaires. Malheureusement, un telle approche véhiculerait un message ambigu et je suis conscient de l'énorme risque d'assimilation, dans le sens péjoratif du terme. Existe-t-il d'autres solutions ?

Mon propos n'est pas de déprécier le français ni de baisser les bras dans la lutte pour son épanouissement. C'est à regret que j'écris ces lignes pessimistes en cherchant un moyen pour mieux propager notre savoir à l'international tout en préservant notre patrimoine linguistique. Regret teinté d'amertume dans la mesure où le Québec tant par ses lois linguistiques que par la volonté de son peuple de préserver sa langue, se voit abandonné par l'élite scientifique française, pour ne pas dire francophone. J'ai l'impression que nous, irréductibles Québécois, sommes de plus en plus isolés dans notre combat pour la défense du français, difficile lutte menée sur fond d'une baisse démographique autogénocidaire.

Avant de verser des larmes à propos du français, n'a-t-il pas fait subir à d'autres langues, à d'autres époques, le sort que lui réserve maintenant l'anglais ? Selon Goethe, la force d'une langue n'est pas de repousser l'étranger, mais de le dévorer. À chacun son tour ? What do I know ?

    Source : Télérama 2834, 5/05/2004, p. 28 ; http://www.ledevoir.com/(valider les liens)
    Posté par gb