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Le français recule avec l'élargissement de l'UE | 2004-02-17

« Le basculement vers l'anglais ne date pas de l'entrée du Royaume-Uni dans l'Union européenne en 1973. "A l'époque, il y a eu un accord entre Georges Pompidou et Edward Heath pour que Londres envoie des fonctionnaires parlant français. Cela a réussi à 100 %", commente un vétéran. Le virage a, en fait, eu lieu en 1995, avec le départ de Jacques Delors de la Commission et l'élargissement à la Suède, la Finlande et l'Autriche : les fonctionnaires de ces pays n'avaient aucune envie d'apprendre le français. » ()

Avec l'élargissement, l'usage du français recule dans les institutions européennes

Une préférence pour l'anglais s'est progressivement imposée à Bruxelles depuis 1995.

L'entretien entre le président de la Commission européenne, Romano Prodi et le premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin, sur la violation du pacte de stabilité, s'est bien tenu en français, en septembre 2003. Mais le communiqué de la Commission n'a été publié qu'en anglais. Ainsi va l'usage du français à Bruxelles. Le basculement vers l'anglais ne date pas de l'entrée du Royaume-Uni dans l'Union européenne en 1973. "A l'époque, il y a eu un accord entre Georges Pompidou et Edward Heath pour que Londres envoie des fonctionnaires parlant français. Cela a réussi à 100 %", commente un vétéran. Le virage a, en fait, eu lieu en 1995, avec le départ de Jacques Delors de la Commission et l'élargissement à la Suède, la Finlande et l'Autriche : les fonctionnaires de ces pays n'avaient aucune envie d'apprendre le français.

En salle de presse, l'on est passé à un régime bilingue français-anglais, avec interprétation. En 2002, à la Commission, 57 % des documents étaient écrits originellement en anglais pour 29 % en français, soit un recul de 10 points en huit ans, l'allemand étant stable à 5 %. Les études économiques de la Commission sont publiées uniquement en anglais, tant pis si Londres n'est pas dans l'euro. In fine, M. Prodi a pu choisir deux porte-parole, le Finlandais Reijo Kemppinen et l'Italien Marco Vignudelli, au français exécrable, sans que personne s'en émeuve.

Le recul est pire au Conseil, où 18 % seulement des documents étaient rédigés en français en 2002, pour 42 % en 1997 ! Même au Parlement européen, lieu du multilinguisme, l'anglais devient lingua franca. Ainsi, la socialiste française Pervenche Berès, fondatrice d'un groupe sur la gouvernance économique de la zone euro, animait son groupe en français jusqu'à ce qu'elle accueille des députés finlandais et irlandais.

La tendance va s'aggraver avec l'élargissement, les candidats aux concours des nouveaux Etats membres ayant choisi l'anglais à 69 %, l'allemand à 18 % et le français à 13 %. "Dans les réunions, dès qu'un Letton va dire qu'il ne parle pas français, on va devoir tous passer à l'anglais", prédit un haut fonctionnaire.

L'enjeu dépasse celui de la langue. "Celle-ci est constitutive de notre identité et véhicule des modes de perception qui ont modelé le système européen", explique l'ambassadeur de France à Bruxelles, Pierre Sellal, qui déplore que "les concepts aujourd'hui, que ce soit ceux de "développement durable", de "gouvernance économique" ou d'"agence" ne sont plus français". Les Allemands sont encore plus mal lotis. Ainsi, pendant la Convention, le parlementaire allemand Erwin Teufel s'est mis à parler d'"Ordnungspolitik", symbole du miracle économique allemand soudain bien suranné et qui fut improprement traduit en franglais par "gouvernance économique".

Le minimum serait de pouvoir s'exprimer dans les langues des trois cultures européennes, latine, anglo-saxonne et germanique, à savoir le français, l'anglais et l'allemand. "Si on pense néolibéral, autant le faire tout de suite en anglais", explique un haut fonctionnaire belge. "Même les Anglais commencent à se rendre compte que la loi selon laquelle "la mauvaise monnaie chasse la bonne" va s'appliquer pour leur langue. Ils ont intérêt au plurilinguisme, sinon c'est leur langue qui va se véroler", affirme le commissaire français Pascal Lamy.

Il va néanmoins falloir faire des choix parmi les vingt langues de l'Union. L'Allemand est difficile, son usage suscite la jalousie des Italiens et des Espagnols. Les Français cherchent donc à préserver leur avantage, l'usage de l'anglais et du français sans traduction dans les réunions techniques. "Le français continuera d'être une langue de travail, tant que les gens continueront d'avoir une connaissance passive du français", explique M. Sellal. Paris a ainsi formé au français 3 200 fonctionnaires dans les pays de l'élargissement en 2003 et organise des sessions spéciales à Avignon pour les ambassadeurs, futurs commissaires et hauts fonctionnaires, dans une atmosphère où l'on essaie de faire oublier les brouilles du passé : ainsi l'ambassadeur de Pologne a été invité à commenter, cet été, la vidéo au cours de laquelle Jacques Chirac expliquait aux pays candidats qu'ils avaient "perdu une bonne occasion de se taire" en soutenant les Américains sur le dossier irakien.

L'enjeu est de persuader les nouveaux venus que l'usage du français est indispensable. "Dans les déjeuners, j'interviens de manière à montrer que ceux qui ne me comprennent pas manquent quelque chose d'important...", explique M. Sellal. La France n'a pas cette position de force au Parlement européen, où il faut choisir entre les principes et l'efficacité. Avec les députés Jean-Louis Bourlanges (UDF-PPE) et Philippe Herzog (GUE, communiste), Mme Berès a déposé début février des amendements en anglais, préalablement rédigés par Bercy, sur une directive financière. "L'enjeu était trop important. Il fallait passer par l'anglais pour être écoutés", explique Mme Berès. "La bataille portait entre deux mots anglais, "normal" et "standard". Le drame, c'est que "standard" se traduit en français par "normal". On ne pouvait s'en sortir qu'en passant par l'anglais", s'amuse M. Bourlanges.

Pour M. Sellal, "la cause est essentielle, car la préservation du français dans les institutions européennes est le seul moyen de sauver la francophonie. La cause est loin d'être perdue". Les Français contrôlent encore quelques verrous : le procès-verbal des réunions de la Commission ne se fait qu'en français, tout comme le délibéré des juges à la Cour de justice européenne. Le plurilinguisme ne pourra jamais être totalement abandonné, dans la mesure où la machine européenne produit du droit primaire directement applicable dans les Etats membres. Il va être renforcé par le nouveau statut des fonctionnaires, qui impose, pour l'avenir, la maîtrise de trois langues pour être promu. "Lorsqu'un Européen parle trois langues, il y a toutes les chances que l'une soit le français", estime M. Sellal. L'environnement francophone de Bruxelles constitue le principal atout pour la défense du français.

Arnaud Leparmentier (lemonde.fr)

    Source : http://www.lemonde.fr/
    Posté par gb