languefrancaise.net

AppendixProbi

Le document


Les numéros 121-131 de l'Appendix

L'Appendix Probi est le troisième de cinq appendices ajoutés par un auteur anonyme à la grammaire latine Instituta Artium. La grammaire elle-même a été attribuée à un certain Probus mais il peut être exclu qu'il soit identique avec le grammairien connu Valerius Probus : la grammaire fait référence aux bains de Dioclétien qui existaient au début du IVe siècle - tandis que Valerius Probus a vécu au Ier siècle (cf. Barnett 2007: 701). Aujourd'hui, on parle de "Pseudo-Probus". Dans l'Appendix, plusieurs entrées constituent des références à des lieux ou réalités de l'Afrique du nord ce qui a amené plusieurs chercheurs à penser que l'auteur était d'origine africaine (Quirk 2006 : 298).

Le texte de l'Appendix n'a survécu que dans un seul exemplaire, à savoir un manuscrit écrit à Bobbio (nord-ouest de l'Italie) au VIIe ou VIIIe siècle, selon E. A. Lowe. Des taches d'eau et d'encre ont corrompu le texte et rendu illisibles certaines lignes. Aujourd'hui, le manuscrit est conservé à Naples.

Des erreurs sur le manuscrit indiquent qu'il doit être la copie d'un original plus ancien. Mais quand cet original a-t-il été écrit ? C'est justement sur ce dernier point que les philologues se disputent. Dans les manuels traditionnels, le IIIe siècle est généralement donné comme date mais la référence aux bains de Dioclétien (cf. supra) montre que le texte ne peut pas être né avant le IVe siècle.
Se basant sur des comparations avec des gloses gréco-latines, C.A. Robson (1963) a proposé le VIe ou VIIe siècle, donc une date très tardive et très proche du manuscrit de Bobbio. L'opinion de Robson a été adoptée par Väänänen (1981: 200) mais rejetée par un nombre d'autres spécialistes. Le fait que le manuscrit contient des erreurs de copie et des corruptions rend une date tardive improbable, en tous cas (cf. Powell 2007: 693).

Le contenu et sa signification linguistique

L'Appendix contient une liste de 227 recommandations relatives à l'orthographe du latin, toutes pareilles dans leur structure. Ce sont des corrections du genre: “écrivez X, n’écrivez pas Y” (par ex. “brattea non brattia”), le deuxième élément étant ce qui est considéré comme erreur, le premier élément étant la forme classique ou ce que l'auteur croit être du bon latin.
Contrairement à ce qu'on lit dans certaines introductions à l'histoire de la langue française (Chaurand 1999 : 18), l’Appendix Probi n'est pas un traité de bonne prononciation mais d'orthographe ! Cela peut se voir dans des entrées qui ne sont pas en rapport avec les changements phonétiques en cours dans le latin tardif mais qui se limitent par ex. à la translittération latine de termes grecs.
Cependant, il est vrai que beaucoup des erreurs fustigées sont en effet des reflets indirects du latin parlé dans l’Antiquité tardive, et ainsi des témoins du changement phonétique et morphologique de cette époque-là. Les phénomènes qui y apparaissent sont généralement attestés aussi dans d’autres textes latins et plus tard dans les langues romanes (parmi eux le français).
Parmi ces changements du latin vulgaire se trouvent :

  • des syncopes, c-à-d. la chute d'une voyelle non-accentuée entre des consonnes (speculum non speclum)
  • la chute de n devant s (ansa non asa)
  • la chute de h et de -m final (idem non ide)
  • la formation de diminutifs (auris non oricla)
  • la régularisation des déclinaisons (fax non facla)
  • la confusion de voyelles, ce qu'on appelle "bouleversement du triangle vocalique" (columna non colomna)
  • "kw" devient "k" (exequae non execiae)

Mais il paraît problématique à en tirer la conclusion aveugle que l’Appendix soit un miroir ou une sorte d’enregistrement fidèle et absolu du latin parlé. En plus, le fait que la datation est toujours disputée rend difficile la tentative de placer les "vulgarismes" attestés dans le contexte chronologique.
En tous cas, ce texte est, après 1500 ans, toujours fascinant parce qu’il offre une foule de phénomènes (réels) dans une même liste authentique, ce qui fait sauter aux yeux certains changements et n'est pas sans valeur pédagogique.

Le texte

La première édition de l’Appendix Probi date de 1837 (Endenfelder et Eichenfeld) mais celle qui est citée généralement dans les ouvrages dédiés au latin tardif est l‘édition de W.A. Baehrens de 1922 Sprachlicher Kommentar zur vulgärlateinischen Appendix Probi. Une nouvelle lecture a été proposée récemment par J.G.F. Powell (2007). Nous allons présenter dans la suite le texte de Baehrens, avec les corrections de Powell. Dans les cas où les deux lectures diffèrent l’une de l’autre de façon significative, la version de Powell est donnée en première avec la version de Baehrens entre parenthèses ( ). Des taches d’encre et d’eau ont déterioré le manuscript jusqu’au point de l’illisibilité de certaines parties. L’interprétation de beaucoup de lignes n’est donc pas claire. Les crochets marquent des lettres douteuses [a] ou illisibles [....]

Images

Les photos présentées ici sont prises d'un supplément joint à la revue Wiener Studien (Zeitschrift für klassische Philologie, Patristik und lateinische Tradition) 14, parue en 1892. Elles montrent le verso de la feuille (f° 50v), qui contient les numéros 29 (avus non aus) à 227 (fin) et (en bas à droite) le début du quatrième appendice de la grammaire Instituta Artium.

Bibliographie

  • BAEHRENS, Wilhelm Adolf (1922) : Sprachlicher Kommentar zur vulgärlateinischen Appendix Probi. Halle, Niemeyer.
  • BARNETT, F. J. (2007) : "The Sources of the Appendix Probi - A new approach". Classical Quarterly, 57/2. pp. 701-736.
  • CHAURAND, Jacques (éd., 1999) : Nouvelle histoire de la langue française. Paris : Editions du Seuil.
  • FLOBERT, Pierre (1987) : "La date de l'Appendix Probi". In Università degli Studi di Urbino (éd.) : Filologia e forme litterarie: studi offerti a Francesco della Corte. Urbino.
  • POWELL, Jonathan G. F. (2007) : "A new text of the Appendix Probi". Classical Quarterly, 57/2. pp. 687-700.
  • QUIRK, Ronald. J. (2006) : The Appendix Probi. A Scholar's Guide to Text and Context. Neward, Juan de la Cuesta.
  • ROBSON, C. A. (1963) : "L'Appendix Probi et la philologie latine". Le Moyen Age, 69. pp. 37-54.
  • VÄÄNÄNEN, Veikko (1981) : Introduction au latin vulgaire. 3ème édition. Paris, Klincksieck.

Mots clés : latin préservatif