2. [P. réf. à la prudente lenteur avec laquelle on tire les carottes très longues du sol]
a) [Arg. de la police ; cf. tirer les vers du nez] Tirer la carotte à quelqu'un. Sonder quelqu'un, le faire parler. Quelques voleurs, qui (...) se laisseraient tirer la carotte sur leurs affaires passées, présentes et futures (F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, t. 3, 1828-29, p. 122).
b) Pop. Tirer une carotte à qqn. Lui soutirer habilement quelque chose, en particulier une somme en apparence peu importante d'argent, en abusant de sa confiance ; p. ext. chercher à le tromper, à le duper dans une affaire médiocre :
4. − Tâchez d'avoir un passeport sous ce nom-là. − Il n'est que neuf heures, le maire est au cabaret ; je vais lui tirer cette carotte. Stendhal, Lamiel, 1842, p. 151.
− P. iron. et antiphrase :
5. − Gros cornichon ! s'écria-t-elle en poussant un infernal éclat de rire, voilà la manière dont les femmes pieuses s'y prennent pour vous tirer une carotte de deux cent mille francs ! Balzac, La Cousine Bette, 1846, p. 296.
− [Arg. des casernes ; cf. tirer au flanc] Tirer une (la) carotte. Essayer habilement, par simulation, d'obtenir un avantage personnel en se dérobant à une corvée.
− En partic. Simuler pour obtenir du médecin une exemption de service :
6. Un cinquième [porteur], qui se traîne à peine, nous paraît tirer la carotte. En effet il nous accompagne le lendemain, et ne parle plus de son mal lorsqu'il comprend qu'il ne sera pas payé s'il refuse sa charge. Gide, Voyage au Congo, 1927, p. 783. (tlfi:carotte)
- tirer une carotte loc. verb. non conv. ARGENT "soutirer de l'argent" - ø t. lex. réf. ; absent TLF.
- 1842 - «Ainsi nul teneur de livres ne pourrait supputer le chiffre des sommes qui sont restées improductives, verrouillées au fond des coeurs généreux et des caisses par cette ignoble phrase : Tirer une carotte !... Ce mot est devenu si populaire qu'il faut bien lui permettre de salir cette page.» Balzac, Un Début dans la vie, II, 578 (Bruges, Pléiade, 1951)
- 1842 - «Tirer une carotte à quelqu'un. Obtenir adroitement d'une personne ce qu'elle n'avait nulle envie de donner.» Complément Acad. , (s.v. carotte) B. Fig. et fam. a) 1784 arg. de la police tirer la carotte « extorquer à quelqu'un des aveux par des moyens adroits » (Esn., sans ex.) ; d'où 1831 tireur de carottes « prétexte inventé pour soutirer de l'argent » (Raspail ds Esn.) (bhvf:carotte)
- Le militaire a la réputation d'en tirer de carabinées à ses parents pour en obtenir de l'argent. (ROS)
- Elle est passée du langagé militaire, nous ne dirons pas dans le langage, mais dans l'argot de toutes les classes de la société. […] Nous ne serions pas éloigné de penser que cette expression : tirer une carotte, ne prît son origine dans la maraude. En effet, en campagne, le soldat, se répandant volontiers dans les champs, arrache de la terre le 1égume appelé carotte, pour le mettre dans son pot au feu. (1868. Le soldat peint par son langage)
- Voici maintenant une origine plus poétique : Au seizième siècle, se trouvant surchargés d'impôts par le légat de M. de Savoie, – comme on disait alors – les Carmagnolais se révoltèrent et prirent pour enseigne un manche à balai orné d'une botte de carottes, – légume qui avait été tout particulièrement frappé par les taxes. Ils se mirent à saccager la ville et les environs. Deux jours après, M. de Savoie fit pendre une demi-douzaine des plus mutins, et l'ordre régna de nouveau Carmagnole. Avant de quitter les chevaliers toulousains, le gouverneur savoyard avait frappé chaque botte de carottes mise en vente au marché d'un impôt équivalent à un demi-liard de notre ancienne monnaie. Mais comme il était bon prince, et sans doute économiste pratique, le gouverneur admettait qu'on le payât en nature ; c'est-à-dire que ses estafiers tiraient, à son profit, deux carottes par botte. (1868. Le soldat peint par son langage)
- Avec idée de tabac qu'on trouve dans chiquer. (SCHW1889)
- Employé jadis pour séduire (métaphore obscène). (AYN)
- Cornard (avec bahuté et carotte) est un de ceux qui s'emploient le plus souvent dans le langage de Saint-Cyr. (Virenque1896)
- À propos de la loc. tirer une carotte, Larch. 1861 écrit : ,,les contrebandiers qui tiraient ou passaient continuellement des carottes de tabac à la frontière doivent avoir fait créer ce terme`` (interprétation reprise par Quillet 1965). Littré note en rem. : ,,on a dit que la locution populaire tirer une carotte vient de ceci : à Carmagnole, le gouverneur savoyard avait frappé chaque botte de carottes, mise en vente au marché, d'un impôt équivalent à un demi-liard de notre ancienne monnaie ; mais il admettait qu'on le payât en nature, c'est-à-dire que les estafiers tiraient à son profit deux carottes par botte`` (Extrait de la Chronique du Derby, dans la Patrie, 11 avr. 1868). On ne donne aucun texte à l'appui de ce dire. Dans la partie étymol. : ,,au lieu de tirer une carotte, l'italien dit : planter ou ficher des carottes (...). L'origine de cette façon de parler, c'est que, dans un sol meuble et doux, image de la crédulité, la carotte acquiert un développement admirable ; l'expression italienne s'arrête à l'intention du semeur de carottes ; le français considère le procédé qui les récolte`` (Génin, Récréat. t. 1, p. 310). En ce qui concerne l'emploi de carotte pour signifier « petite escroquerie » selon Lar. 19e : ,,... ce mot et ses dérivés sont venus de carotte, mesquinerie au jeu, car la prudence et la filouterie sont assez voisines dans cette matière. Cependant, quelques étymologistes prétendent que cette façon de parler vient de l'habitude qu'avaient les contrebandiers de passer des carottes de tabac à la frontière``. Pour Éd. 1967 : ,,le sens argotique de duperie, d'escroquerie, pourrait dériver de l'astucieuse tactique des âniers qui présentaient un de ces légumes au bout d'une perche pour décider un animal rétif à avancer...``. (TLFi)