PÉKIN, subst. masc.
A. Arg. milit., péj. Civil, bourgeois. Pousse ton cheval ferme, toujours t'éloignant de l'armée. À la première occasion achète des habits de pékin (...). Dès que tu auras sur le dos des habits de bourgeois, déchire ta feuille de route en mille morceaux (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 60). N'avons-nous pas entendu traiter Louis-Philippe de tyran ? Ce n'était que le roi des pékins (PROUDHON, Guerre et paix, 1861, p. 62). À ce point de la conversation (...) je risquai la question bébête de la durée [de la guerre], qui sent son pékin d'une lieue (L. DAUDET, Temps Judas, 1920, p. 186) :
... [les] militaires de Napoléon (...) divisaient le monde en soldats, en pékins [it. ds le texte], en ennemis, et (...) traitaient les pékins en ennemis et les ennemis en pékins.... BALZAC, Corresp., 1837, p. 292.
En pékin. En habit civil ; en partic., sans travesti dans un bal costumé. Nous allons en pékins au bal chez Michelet, où les femmes sont déguisées en nations opprimées, Pologne, Hongrie, Venise, etc. (GONCOURT, Journal, 1864, p. 25).
Empl. adj. [Le vêtement] est plus militaire, il a l'air moins pékin (POMMIER, Crâneries, 1842, p. 134). Popelin aurait insinué dans la cervelle de la Princesse l'idée qu'il y avait un beau rôle à prendre pour un Napoléon dans cette fin de siècle, le rôle d'un Bonaparte civil, d'un Bonaparte pékin, d'un Bonaparte savant, lettré, intellectuel (GONCOURT, op.cit., 1890, p. 1227).
B. P. ext, arg. Celui qui n'appartient pas à un milieu particulier. Accommoder le pékin (pour les voleurs) (d'apr. ESN. 1966). Quand le second maître de manoeuvre Lestrope, chargé d'enseigner le matelotage aux fistots [élèves de 1re année] de l'École navale, entendit ceux-ci parler de « ramer avec des rames », de « tirer sur une corde » (...), il se mit fort en colère (...). Ces mots sont ceux, en effet, du « dehors », des non-initiés, et qui trahissent aussitôt le pékin. Il n'y a pas de corde, à bord, hormis la corde de la cloche. Il n'y a que des cordages, ou mieux des filins (Vie Lang. 1971, p. 384).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. 1935. BALZAC, Pierrette, 1840, p. 164 et Paysans, 1844, p. 115 : péquin ; cette forme est var. de pékin ds LITTRÉ et ROB. CATACH-GOLF. Orth. Lexicogr. 1971, p. 286 : péquin. Étymol. et Hist. 1799 péquin (J. HARDY, Correspondance, 11 juill. ds Mél. Bruneau, p. 147). Prob. empr. au prov. pequin « chétif, malingre », correspondant à l'esp. pequeno « petit », issu d'un rad. pekk- exprimant la petitesse. Le mot a sans doute été introduit dans l'arg. des armées révolutionnaires par des soldats originaires du Midi. V. FEW t. 8, p. 158 ; G. GOUGENHEIM ds Mél. Bruneau 1954, pp. 147-151 ; BRUNOT t. 9, pp. 999-1000. STAT. Pékin1 et 2. Fréq. abs. littér. : 49. BBG. QUEM. DDL t. 5. (tlfi:pékin)
- pékin n.m. LOISIRS "celui qui n'est pas déguisé" - FEW (8, 158a), 1845, Besch. ; TLF, cit. Goncourt, 1864.
- 1841 - «Déboursot :... On devrait exiger que, dans un bal masqué. chacun fût en bourgeois ou en pekin, comme ils disent.» Chardon, Un Jeu de dominos, ii - M.P.
- pékin n.m. arg. , non conv. VIE SOC. "homme ordinaire" - TLF, DArg., 1882.
- 1819 - «PIERRE [...] Vilain iroquois, enfant d' trente-six pères : vas, capon, tu n'est qu'un arsouille et un pékin ; mon vin d'Espagne est dans la cruche, il faudra ben q' ten fasse le décompte au bourgeois.» Le Cousin germain de Vadé, 86 (Marchands de nouveautés) - P.E.
- pékin n.m. arg. , non conv. VIE SOC. "homme ordinaire" - TLF, DArg., 1882. pekin, peckin - ø t. lex. réf. ; absent TLF.
- 1819 - «LE TAILLEUR [...] et dirais-ton pas qu' c'est queuq personnage d'importance, et pas du tout c'est un pekin qu'a mis en gage l' seffets d' ses voisins pour faire son passe-partout. [...] ati l' yeux rouge c' peckin là, cest Monsieur Cupidon qui li vaut ça pas vrai échappé de la maison d' campagne de sainte Véronique, gratte pavé [...]» Le Cousin germain de Vadé , 11 et 18 (Marchands de nouveautés) - P.E. (bhvf:pékin)
Littré : péquin
(pé-kin) s. m.
Terme d'argot militaire. Nom que les militaires sous Napoléon Ier donnaient par dérision aux bourgeois et qui s'est conservé depuis. On raconte que, le maréchal Augereau prononçant le mot de péquin devant M. de Talleyrand, celui-ci demanda ce que signifiait péquin, et le maréchal lui répondit : Nous autres militaires, nous appelons péquin tout ce qui n'est pas militaire. –Et nous, reprit M. de Talleyrand, nous appelons militaire tout ce qui n'est pas civil.
Si vous reculiez [étrangers envahissant la France], peu d'entre vous iraient conter à leurs enfants ce que c'est que la France en tirailleurs, n'ayant ni héros, ni péquins, Courier, Lettre X.
On écrit aussi pékin.
Je ne peux pas m'habituer à voir un bourgeois, un pékin, disons le mot, affublé de moustaches comme un grognard de la vieille garde, Ch. de Bernard, la Peau du lion, § III.
ÉTYMOLOGIE
On dit que ce mot datant de l'Empire vient de l'espagnol pequin, pequeño, petit ; mais n'est-il pas plus simple d'y voir le pékin, étoffe qui sous l'Empire, était beaucoup portée en pantalon ; on distinguait de la sorte, à première vue, le militaire de celui qui ne l'était pas.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
PÉQUIN. - ÉTYM. Ajoutez : Le texte suivant porterait à croire que péquin n'est pas un terme de soldats :
Péquin : terme injurieux qui équivaut à ignorant, sot, imbécile ; homme intéressé, avare au dernier degré ; c'est aussi un sobriquet que les soldats se donnent entre eux, D'Hautel, Dict. du bas langage, 1808.
D'Hautel se trompe ; péquin était une qualification non que les soldats se donnaient entre eux, mais donnaient à ceux qui n'étaient pas militaires (voy. au Dictionnaire l'anecdote de Talleyrand et Augereau). Voici un renseignement traditionnel qui donnerait quelque chose de positif sur l'origine de ce mot. Péquin daterait de la fête de la Fédération, suivant le dire d'un général qui y assistait, dire transmis de bouche en bouche jusqu'à la personne qui m'en a fait part : à cette fête, il y avait des délégués militaires, et des délégués des cantons ; ces derniers, on les nomma par abréviation des cantons ; la plaisanterie vit dans cantons la ville de la Chine et y substitua le nom de la capitale, Pékin. (littré:péquin)
- Ici, pour le mot péquin, l'on pourrait donner carrière aux étymologies les plus lointaines ; faire venir, par exemple, péquin de paganus, par opposition à veteranus. D'autres chercheurs ont pensé que péquin venait, un peu indirectement, du mot pichini, piquini, espèce de gens non militaires qui, dans le moyen-âge, suivaient les armées. D'autres font remonter cette expression à une époque plus moderne, au temps du Consulat et de l'Empire, alors que l'étoffe appelée pekin eut une grande vogue. Il se pourrait bien que nos soldats, vainqueurs de l'Europe, tout fiers de leurs succès, de leur promenade triomphale à travers les capitales de l'Europe, ont dû appliquer ce mol de pékins à ceux qui, comme eux, ne voyageaient pas, l'arme au bras, mais trafiquaient paisiblement en vendant l'étoffe imitée du tissu venu de la Chine. (1868. Le soldat peint par son langage)
- Formation expressive, du radical pekk- « petit » (cf. provençal pequin « malingre », ital. piccolo, esp. pequeño), ou du rad. du lat. pecus, pecoris « bétail ». (GR)
- Prob. empr. au prov. pequin « chétif, malingre », correspondant à l'esp. pequeno « petit », issu d'un rad. pekk- exprimant la petitesse. Le mot a sans doute été introduit dans l'arg. des armées révolutionnaires par des soldats originaires du Midi. (TLFi)
- Ciblot est plus usité. (Dech1918)
- Date au moins des guerres de Crimée et d'Italie. (Dauzat1918)